Édouard Bergeon au chevet des agriculteurs français

Œuvre catharsis? «Les blessures personnelles sont là, répond le cinéaste Édouard Bergeon. Mais les mettre en scène aide à soigner un traumatisme. J’ai fini d’endosser ce sac à dos.» Guillaume Canet (à droite) portait les vraies bottes de son père.
Photo: Axia Films Œuvre catharsis? «Les blessures personnelles sont là, répond le cinéaste Édouard Bergeon. Mais les mettre en scène aide à soigner un traumatisme. J’ai fini d’endosser ce sac à dos.» Guillaume Canet (à droite) portait les vraies bottes de son père.

Après le suicide de son père, mort dans ses bras à la suite d’une grave dépression, Édouard Bergeon avait 16 ans lorsqu’il s’est retrouvé, en région poitevine, à la tête de l’entreprise agricole familiale, aux côtés de sa mère et de sa sœur. De cela, il avait témoigné en 2012 dans son documentaire Le fils de la terre, qui abordait le monde rural français, terreau où tant de paysans se donnent la mort. Étranglés par la nécessité de moderniser leurs équipements, criblés de dettes, sans coussin financier quand les cataclysmes naturels et les catastrophes détruisent leurs bâtiments, leurs récoltes ou leur cheptel, ils voient au moins l’un d’entre eux se suicider chaque jour.

Or voici que son premier long métrage, Au nom de la terre, dans nos salles le vendredi 31 juillet, revient sur ce terrible épisode du passé, brûlant au cœur d’Édouard Bergeon. Avec Guillaume Canet dans la peau du père et Veerle Baetens dans celle de sa mère, le film démonte la mécanique d’un cauchemar.

« J’avais 28 et 29 ans quand j’ai réalisé Le fils de la terre, qui a été adapté au théâtre, raconte le cinéaste. Il y a cinq ans, le producteur Christophe Rossignon, aussi fils d’agriculteur, m’a dit qu’il aimerait qu’on fasse un long métrage ensemble sur le sujet, qui se déroulerait au cours des années 1990. J’ai travaillé longtemps au scénario. Puis, Guillaume Canet est tombé à la télévision sur une rediffusion de mon documentaire. Voulant réaliser le film, il en parla à Rossignon. Il avait l’âge du rôle de mon père à l’époque, connaissait le milieu, et comme on avait besoin d’un acteur principal… »

Les deux se sont rencontrés et le courant est passé. « Ce fut un grand bonheur de l’avoir à nos côtés pour Au nom de la terre, confie le cinéaste. Des scènes fictives sont apparues au scénario : celle du couteau, le dénouement. Tout s’est mis en place. Guillaume s’est investi en entier dans ce rôle. Reste que la vraie histoire de mon père était pire. On a vécu deux incendies, une sécheresse terrible , soit 25 ans de boulot perdus. Un homme craque… »

Œuvre catharsis ? « Les blessures personnelles sont là, répond le cinéaste. Mais les mettre en scène aide à soigner un traumatisme. J’ai fini d’endosser ce sac à dos. » Guillaume Canet portait les vraies bottes de son père. « Ce film est sorti vingt ans après sa mort. »

Sa fourche et sa charrue

 

Édouard Bergeon parle en entrevue de la mondialisation et de la monoculture, qui empêchent les fermiers de respirer. « C’est horrible. Ceux qui nous fournissent des denrées de qualité ont besoin d’être soutenus et encouragés. Sinon, on fait venir des aliments du bout du monde, souvent dégueulasses. Il faut consommer des produits de saison et défendre l’autosuffisance alimentaire. »

Ce film fut d’abord une aventure cinématographique, avec un tournage en hiver comme en été en Mayenne. « C’est beau, la campagne. On a filmé avec amour le temps qui passe, la pluie, le brouillard, la neige, l’agriculture. La terre est un aimant puissant. Ma mère est venue trois fois sur le plateau. Rufus, qui jouait mon grand-père, fut très généreux. Tout le monde me posait des questions sur mon passé. J’ai nourri mon équipe avec du réel et ma sincérité. »

En France, où le film a été présenté à l’Élysée au président Macron, le film a récolté deux millions d’entrées, surtout en province. « J’ai participé à une centaine d’avant-premières. Le film n’intéressait pas les Parisiens, mais le public cible, parfois des gens qui n’étaient jamais allés au cinéma, dont un grand nombre d’agriculteurs. Ce fut un succès phénomène dans les territoires d’où je viens. Il faut dire qu’Au nom de la terre est sorti [en septembre 2019] au moment de la révolte des gilets jaunes, qui fut aussi une jacquerie, un soulèvement paysan. Ça a aidé le film à bien marcher. On a passé cinq heures avec [Emmanuel] Macron. Il connaît le dossier et m’a dit : “Avec votre caméra, vous m’avez fait voir les choses de l’intérieur. Seul le cinéma permet ça”. »

Édouard Bergeon estime pourtant que la politique a les mains liées pour l’avenir de la terre. Toutefois, il écrit deux projets de films sur le sujet, inspirés des débats de la société actuelle, liés aux enjeux environnementaux aussi. Vaste sujet à l’heure où les ressources s’épuisent. Lui qui rêve à l’instauration d’un protectionnisme agricole européen, considère aussi le cinéma comme un outil de combat ; sa fourche et sa charrue.

Cet entretien a été effectué à Paris dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.

Au nom de la terre sortira en salle le 31 juillet.