César Díaz, la vérité par la fiction

Le 19 mars 2020, César Díaz, cinéaste belgo-guatémaltèque, devait être célébré dans son pays natal. Son premier long métrage de fiction avait l’honneur d’ouvrir le festival Memoria Verdad Justicia (mémoire, vérité, justice). Mais cette première projection publique de Nuestras Madres n’a jamais eu lieu. Le festival a été victime de la pandémie.
Campé dans le Guatemala de 2018, celui des procès des militaires liés au génocide autochtone de 1982, le film avait valu à son auteur, dix mois plus tôt, la Caméra d’or au Festival de Cannes, prix destiné aux nouveaux talents. Né en 1978, le jeune quadragénaire est convaincu d’une chose : Nuestras Madres existe parce qu’il s’est expatrié.
Sa certitude n’a pas à voir avec le sujet hautement politique qu’il aborde. À ses yeux, il peut dire ce qu’il pense ; la répression est chose du passé. Ce sont l’ignorance et la fantomatique industrie cinématographique qui l’auraient empêché de travailler.
« Si j’étais resté au Guatemala, je n’aurais pas pu faire le film. Pour bâtir une fiction, ça prend des moyens et des collaborateurs. De l’argent, au Guatemala, il n’y en a pas », assure celui qui a vécu la majorité de sa vie en Belgique.
« Le pays doit se doter d’une loi du cinéma, poursuit-il, lors d’un entretien accordé depuis la capitale guatémaltèque. Il n’y a ni fonds ni écoles. On ne peut pas faire fermer des rues, obtenir d’assurances… L’industrie est fragile. »
Si j’étais resté au Guatemala, je n’aurais pas pu faire le film. Pour bâtir une fiction, ça prend des moyens et des collaborateurs. De l’argent, au Guatemala, il n’y en a pas.
Auteur de courts documentaires sur l’histoire du Guatemala, le réalisateur et scénariste répète souvent aux autorités nationales que le cinéma, au-delà des films, est un moteur économique.
« À l’annonce de ma sélection à Cannes [dans la section parallèle de la Semaine de la critique], précise-t-il, j’ai demandé de l’aide de l’État, comme l’aurait fait n’importe quel cinéaste dans son pays. J’ai dû expliquer ce qu’était le Festival de Cannes. » De ce qu’il a constaté, le gouvernement ne s’intéresse ni à la « création cinématographique » ni à « l’imaginaire collectif ».
La lutte des femmes autochtones
Formé au Mexique, en Belgique et à la Fémis de Paris, célèbre école des métiers de l’image et du son, César Díaz a fait un film européen, soutenu par des institutions belges et françaises. N’empêche, Nuestras Madres, première fiction à aborder de front la guerre civile (1960-1996) et ses 200 000 morts, a été tourné au Guatemala.
S’il a fallu chercher au Mexique les têtes pour les principaux rôles, à l’écran, ce sont des Guatémaltèques non professionnelles, femmes autochtones, qui déclenchent le récit. Le réalisateur tenait à elles pour ce qu’elles représentent. Ces femmes ont vécu la terreur des années 1980. Trouver les corps de leurs maris fait partie de leur quête de justice.
« La réalité, croit César Díaz, est un atout pour la fiction. Elle lui donne l’énergie, en fait un film plus dense. »
Pour les remercier, et pour rendre son film accessible à tous les Guatémaltèques, il songe à le faire traduire en quatre langues : quiche, pokomchi, ixil et cakchiquel. Mais ça prend de l’argent. Il viendra de… l’Espagne.
Nuestras Madres est un hommage aux femmes autochtones, ainsi qu’à toutes celles qui ont milité au sein de groupes armés. Y compris la mère du réalisateur. « Oui, je suis enfant de père disparu et de mère ex-combattante. Mon histoire n’est pas si tragique, nuance-t-il. Elle a servi pour dessiner les personnages, les comprendre. »
Son projet aura été double : à l’hommage rendu s’ajoute la critique d’un système de justice. « Au lieu de chercher à se venger, les victimes réclament justice aux mêmes institutions. Elles ont confiance que le système condamnera les responsables. C’est une leçon de courage, de rage, de démocratie », insiste le cinéaste.
La référence Villeneuve
César Díaz s’est servi de son drame familial pour évoquer une affaire nationale, à la manière d’un classique, La Historia oficial (1985) de Luis Puenzo, une de ses sources d’inspiration. À Pier Paolo Pasolini, il attribue sinon l’idée de rapprocher le travail de réalisateur de celui d’anthropologue médico-légal, son personnage central. Les deux « génèrent de nouvelles idées », l’un en juxtaposant images et sons, l’autre en assemblant des ossements.
Une de ses principales références cependant, c’est Incendies (2010), de Denis Villeneuve. Une fleur pour son interlocuteur ? « Si tu voyais mes carnets de notes », répond-il, avant de se justifier : « Incendies pose la question de la filiation dans un contexte politique qui n’existe pas seulement à l’intérieur du film, en dehors aussi. »
Dans le palmarès de la Caméra d’or, César Díaz rejoint les Jim Jarmusch, Mira Nair et autres Steve McQueen. Un honneur qui vient, selon lui, avec la responsabilité d’un deuxième grand film. Le sien portera encore sur une histoire mère-fils, mais cette fois à Bruxelles. Il se réjouit surtout du prix cannois pour la crédibilité qu’il donne. « La réalité du récit ne peut plus être niée. »
Faut-il encore que le film soit diffusé. Quatre mois après le rendez-vous manqué de mars, Nuestras Madresa pris l’affiche au Guatemala vendredi — soit le même jour où il a gagné les salles au Québec. À la différence près que là-bas, ce sera uniquement en ligne, les salles de cinéma demeurant fermées.
Nos mères (V.F. de Nuestras Madres)
Hanté par les fantômes du passé et par les corps dans les fosses communes à identifier, le Guatemala marche vers la résilience. C’est la toile de fond de Nuestras Madres. Le fil narratif est tout simple, voire prévisible. Ernesto (juste et sobre Armando Espitia, vu dans Heli d’Amat Escalante) travaille au centre médico-légal. Il s’occupe des requêtes des femmes endeuillées depuis 35 ans. Lui-même cherche son père. Le mélange vie professionnelle et vie privée finit par le heurter. Or, César Díaz opte pour la retenue. Le cheminement du regard scientifique, détaché, vers l’implication personnelle, émotive, se fait en douceur. Soucieux de réalisme, le réalisateur soigne ses plans et donne voix aux autochtones par l’entremise d’Aurelia Caal, qui crève l’écran en Nicolasia. L’approche documentaire atteint un sommet, en haute montagne, lors d’un magnifique collage de visages féminins. Les témoignages, restés hors cadre, secrets, laissent alors place à des yeux usés, mais encore lucides.
★★★ 1/2
Drame écrit et réalisé par César Díaz. Avec Armando Espitia, Emma Dib, Aurelia Caal et Julio Serrano Echeverría. Guatemala–Belgique–France, 2020, 77 minutes.