«The Ghost of Peter Sellers»: exorcisme cinématographique

En 1973, Peter Medak débarqua à Chypre pour le tournage d’un nouveau film : la comédie d’aventures Ghost in the Noonday Sun. Déjà, à ce stade, le jeune réalisateur était conscient de la faiblesse du scénario. Qui plus est, Peter Sellers, vedette à l’origine de la production, enchaînait alors les navets, mais le public continuait d’aimer suffisamment l’interprète de l’inspecteur Clouseau pour que Hollywood finance le moindre de ses projets. Et à vrai dire, Medak se réjouissait de collaborer avec lui. Il en résulta hélas une farce spectaculairement mauvaise. Le tournage, cela dit, fut encore moins drôle. En effet, le mot « cauchemardesque » revient souvent dans The Ghost of Peter Sellers, un documentaire, très, très bon celui-là, revisitant le supplice et réalisé par Medak lui-même.
L’histoire du cinéma regorge d’anecdotes de tournages difficiles. Il y a ces réalisateurs dont l’hybris généra des dépassements budgétaires majeurs, tels Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now ou Michael Cimino avec Heaven’s Gate, ou qui se plurent à confondre « direction » et « maltraitance » avec leurs actrices, comme Alfred Hitchcock avec Tippi Hedren sur Marnie, ou Stanley Kubrick avec Shelley Duvall sur Shining. Il y a aussi ces acteurs censés jouer la folle passion à la caméra, mais qui se vouaient entre les prises une profonde inimitié, comme Laurence Olivier et Joan Fontaine dans Rebecca, Patrick Swayze et Jennifer Grey dans Dirty Dancing, ou encore Leonardo DiCaprio et Claire Danes dans Romeo + Juliet. Les exemples sont légion. Or, la magie du cinéma étant ce qu’elle est, il n’en paraît généralement rien.
Beaucoup plus rares sont les productions tellement catastrophiques que leur studio décide carrément de les cacher dans des archives. Ghost of the Noonday Sun est l’un de ces tristes cas d’espèce (une VHS fut brièvement mise en circulation en 1983). Jamais le règlement de comptes attendu, mais plutôt un exorcisme cinématographique, The Ghost of Peter Sellers est l’occasion pour Peter Medak, 79 ans au moment du tournage du documentaire, de sortir une bonne fois pour toutes de son système cette expérience traumatisante. Car traumatisme, il y eut.
Une carrière compromise
On assiste ainsi à des moments de réminiscences douloureuses et à des bouffées de vive émotion de la part de Medak. À raison, car force est de constater que Ghost in the Noonday Sun eut une incidence sur sa carrière, entre celle qu’il aurait pu avoir et celle qu’il eut finalement. Il faut savoir qu’à l’époque, Medak, qui avait fui l’insurrection hongroise de 1956 pour se réfugier à Londres, venait d’enchaîner trois premiers films remarqués avec quelques-uns des meilleurs interprètes anglais : Negatives, avec Glenda Jackson dans son premier rôle principal, The Ruling Class, qui avait valu une nomination aux Oscar à Peter O’Toole, et A Day in the Death of Joe Egg, avec Alan Bates.
En confiant à Medak la réalisation de Ghost in the Noonday Sun, on misait sur la combinaison de ce prestige « d’auteur émergent » et la popularité de Peter Sellers. Mais c’était sans compter la nature capricieuse de la star, son inconstance rivalisant avec son brio comique. Multipliant de longue date les conquêtes et les peines d’amour (il venait de rompre avec Liza Minnelli), Sellers se la jouait dépressif dans sa villa louée par la production. Et d’exiger le renvoi de ces producteurs, et de refuser de donner la réplique à cet acteur, et de feindre une crise cardiaque (!), et de bouder en boycottant le plateau pendant deux semaines après avoir été percé à jour... À sa décharge, l’interprète du docteur Folamour ne fut pas à blâmer lorsque le galion réquisitionné pour le film coula à pic.
Si Peter Medak continua de tourner par la suite, il n’atteignit jamais le firmament des « grands » malgré les promesses de ses débuts, bien qu’alternant d’excellents films (The Changeling, The Krays, Let Him Have it, Romeo is Bleeding) et des séries télévisées marquantes (The Wire, Carnivale, Breaking Bad, Hannibal).
Vers l’apaisement
Le cinéaste médite tout cela sans chercher à se dédouaner (« Je suis le réalisateur, je suis responsable »). De retour « sur les lieux du crime », il se remémore ; on sent d’abord le sel sur la blessure, puis la sérénité qui vient, touchante. Au sein de ce pèlerinage, le cinéaste intègre des confidences de survivants du naufrage, dont celles du producteur John Heyman (Palme d’or pour The Go-Between, de Joseph Losey). Franc, Heyman admet son tort d’avoir laissé Sellers bousiller la production (réécritures, scènes jamais tournées, etc.).
On a également droit à des extraits de Ghost in the Noonday Sun, une comédie de pirates d’une nullité évidente. À l’inverse, The Ghost of Peter Sellers s’avère remarquable dans sa manière d’allier regard en coulisse et déconstruction à la première personne du processus créatif.
Ce bonbon cinéphile constitue en outre un rappel que les tournages, oui, cauchemardesques, génèrent volontiers les meilleurs making-of. On songe ici à Hearts of Darkness : A Filmmaker's Apocalypse, d’Eleanor Coppola, sur la production calamiteuse du chef-d’œuvre de son mari aux Philippines, ou encore à Burden of Dreams, de Les Bank, sur celle de Fitzcarraldo de Werner Herzog dans la jungle péruvienne. Un baume pour le principal intéressé, espérons-le, le documentaire de Peter Medak est de ce calibre-là.
The Ghost of Peter Sellers est disponible en VSD à cinemaduparc.com