«Adults in the Room»: une tragédie grecque contemporaine

Cinquante ans après avoir tourné Z, où il critiquait la Grèce des colonels, Costa-Gavras illustre dans Adults in the Room l’humiliation des Grecs lors des négociations de l’Eurogroupe autour de la dette de la Grèce en 2015. Dès le début de la crise économique, le cinéaste souhaitait traiter de l’appauvrissement de son pays natal. Or, c’est lorsque sa femme, la productrice Michèle Ray-Gavras, lui a envoyé les mémoires de Yánis Varoufákis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe (Liens qui libèrent, 2017), que le déclic s’est fait.

« Je suis allé voir Varoufákis, à qui j’ai demandé si tout cela était vrai. Il m’a alors fait écouter tous ses enregistrements, confie le réalisateur joint en France. C’est ainsi que j’ai pu reconstituer les dialogues du film, et non les inventer. Certaines parties de ces dialogues auraient été impossibles à inventer parce qu’ils dépassent la réalité. Le scénario n’imite pas complètement la réalité parce qu’il y a plusieurs choses que je n’ai pas mises tant elles paraissaient exagérées. »

Ministre des Finances du gouvernement Tsipras à l’époque, Yánis Varoufákis a constaté dès le début des négociations qu’aucun procès-verbal n’était rédigé. Il a donc décidé d’enregistrer tout ce qui s’y disait. Ce que dépeint Costa-Gavras dans l’adaptation de son livre, où il est incarné par Christos Loulis, est un univers dominé par les hommes — à l’exception de Christine Lagarde (Josiane Pinson), directrice générale du Fonds monétaire international — où l’empathie n’a pas sa place.

« C’est tout le problème de l’Union européenne, qui n’est pas du tout celle que l’on souhaitait. Au lieu de s’occuper du social, de la culture, de l’éducation et de l’économie, elle ne s’occupe plus que de l’économie depuis plusieurs années. Elle a dévié complètement par rapport à ce qu’avaient prévu ses fondateurs. C’est complètement inacceptable ! Je pense que l’exemple le plus clair, c’est le comportement de l’Europe face à la Grèce. »

Outre Christine Lagarde et l’épouse de Varoufákis, Dea (Valeria Golino), l’une des rares femmes à prendre part au récit est Angela Merkel… à travers les propos de son ministre des Finances Wolfgang Schäuble (Ulrich Tukur, que Costa-Gavras a dirigé dans Amen, en 2002, et Le couperet, en 2005).

« Depuis de nombreuses années, l’Union européenne est essentiellement dirigée par l’Allemagne. Les Allemands ne se préoccupent que de leurs propres intérêts dans cette union. Dans ce cas-là, ils sont montrés avec leur mépris et leur indifférence totale pour une grande partie du peuple grec, ceux qui ont souffert énormément et qui continuent à souffrir aujourd’hui de la crise économique. »

Le scénario n’imite pas complètement la réalité parce qu’il y a plusieurs choses que je n’ai pas mises [dans le film] tant elles paraissaient exagérées.

Poétique thriller économique

Ce n’est qu’à la fin d’Adults in the Room que la chancelière allemande fera une apparition muette parmi les danseurs d’un surprenant ballet, lequel n’est pas sans rappeler la sortie de scène des colonels dans Z.

« Dans l’esprit de la tragédie grecque, j’ai créé ce chœur qui raconte la conclusion du film parce qu’il n’y avait pas moyen d’expliquer ce qui s’est passé à la fin des négociations. C’était trop long, trop compliqué, trop économique, trop politique. »

Plus tôt dans le récit, qu’il a écrit avec Stéphane Osmont, dont Le capital (Grasset, 2004) avait fait l’objet de son précédent long métrage en 2012, Costa-Gavras aura fait entrer en scène le peuple sous la forme d’un autre chœur. Cette scène empreinte de poésie, qui apparait comme un moment onirique dans ce thriller économique solidement ficelé, traduit l’amour que le cinéaste a gardé pour son pays qu’il a quitté pour la France il y a 60 ans.

« C’est vrai que la Grèce reste proche de moi, surtout le peuple d’où je viens, c’est-à-dire celui de la classe humble, comme la majorité des Grecs. Leurs problèmes, leurs difficultés et leurs peines m’intéressent toujours. Les jeunes Grecs d’aujourd’hui qui partent sont comme ceux de ma génération, qui sont partis après la guerre civile parce qu’il n’y avait pas de travail ni d’avenir. »

Un avenir incertain

 

En pleine crise sanitaire, Costa-Gavras s’inquiète pour son pays natal. « L’avenir est très sombre, car 25 à 28 % de l’économie de la Grèce dépendent du tourisme. Or, cette année, il n’y aura pas de touristes. Comme la dette est énorme et que le chômage est considérable, 18 à 20 %, tout cela va aller en augmentant. »

Costa-Gavras se montre plus optimiste en ce qui a trait à l’avenir du monde. « Je crois que ça ira mieux demain, car il y a beaucoup de gens qui veulent du meilleur partout. Ce drame mondial, c’est une occasion de faire comprendre aux gens que ça ne peut pas continuer comme ça avec cette fascination pour l’argent, avec le pouvoir pris par les banques sous la démocratie et avec les changements climatiques auxquels personne ne pense sérieusement. »

Et l’avenir du cinéma dans tout cela ? « Avec le coronavirus, les plateformes numériques prennent une place de plus en plus importante. Nous, cinéastes français, ne sommes pas contre ces plateformes, mais nous voulons que les salles de cinéma et la liberté de production soient sauvées. Chaque État a une énorme responsabilité pour cela. Nous verrons bien ce qui se passera après la pandémie. »

D’ici là, pas question de baisser les bras. « Je travaille sur une histoire en ce moment. Je vais faire du cinéma aussi longtemps que la nature me le permettra », conclut le cinéaste de 87 ans.

Le réalisateur Costa-Gavras répondra aux questions sur son 19e film le dimanche 24 mai à 13 h sur la page Facebook Maison4tiers.

Conversations entre adultes (V. F. de Adults in the Room)

Dès vendredi, au Cinéma du Parc en ligne. Offert sur toutes les plateformes à partir du 2 juin.

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