César 2020: Polanski gagne sous les huées

Ladj Ly et son film Les Misérables ont triomphé aux César en remportant à la fois les prix du meilleur long métrage et du public. Toutefois, c’est la victoire de Roman Polanski à la réalisation pour J’accuse, qui cumulait douze nominations, qui a fait le plus de bruit : littéralement. En effet, l’annonce de sa victoire a suscité des huées. L’actrice Adèle Haenel, vedette du sublime Portrait de la jeune fille en feu, cité dix fois et grand perdant de la soirée, a quitté la salle avec fracas, suivie par la cinéaste Céline Sciamma. Plusieurs membres de l’assistance ont fait de même.
On se souviendra qu’Adèle Haenel a récemment porté plainte contre le réalisateur Christophe Ruggia qu’elle accuse d’attouchements sexuels lorsqu’elle était adolescente. Figure de proue du mouvement #MeToo en France, l’actrice a déclaré au New York Times en amont des César que « la France a raté le coche de #MeToo », ajoutant au sujet de la domination de J’accuse en matière de nominations : « Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire, « ce n’est pas si grave de violer des femmes ». »
Depuis toujours, la cérémonie des César a la réputation d’être ennuyante. Or, avec ce cru anniversaire, le 45e, on s’attendait d’emblée à une soirée explosive. Après des mois de tension sourde, les coups d’éclat se sont multipliés ces jours-ci : annonce par Polanski qu’il ne viendra pas, et maintien de la manifestation promise par l’association Osez le féminisme contre le cinéaste à nouveau visé cette année par des allégations de viol. Sans compter, signe que les remous qui secouent le cinéma français dépassent le cadre des César, la démission en bloc de la rédaction de la vénérable publication Les Cahiers du cinéma, qui affirme que les nouveaux propriétaires veulent en faire une revue « chic » et « cordiale ».
Il paraît qu’il y a des gros prédateurs… non producteurs, dans la salle. Pour la photo finale, faites-la de face et de profil : ça peut toujours servir.
Dans ce contexte trouble, l’animatrice Florence Foresti a été brillante. Au terme d’un curieux préambule pastichant Joker (un succès américain pour célébrer le cinéma français ?), l’humoriste et comédienne y est allé d’un bien-cuit caustique à souhait. Perles choisies :
« Bonsoir Mesdemoiselles, Mesdames. Et Messieurs, s’il en reste. Ils ont peut-être un bracelet électronique ? »
« Il paraît qu’il y a des gros prédateurs… non producteurs, dans la salle. Pour la photo finale, faites-la de face et de profil : ça peut toujours servir. »
« Note aux designers : merci d’intégrer le ventre dans vos créations. Ça occupe une fonction vitale. »
« On a les films Grâce à Dieu, sur la pédophilie dans l’Église, et J’accuse, sur la pédophilie dans les années 1970. »
À cet égard, Foresti n’a jamais nommé Roman Polanski, préférant le surnommer Popol ou Atchoum, comme l’un des nains de Blanche-Neige en une allusion à sa petite taille.
Le cas Atchoum
Au sujet du cinéaste toujours, Florence Foresti a interrogé dès les premières minutes son public crispé : « Bon, qu’est-ce qu’on fait au sujet de… ? Parce que, y a un moment où on va avoir un souci. Y a douze moments où on va avoir un souci. Faites pas comme lui, faites pas les innocents […]. Moi, j’ai décidé qu’Atchoum n’était pas assez grand pour faire de l’ombre au cinéma français. »
Sur ce, l’animatrice a applaudi Portrait de la jeune fille en feu, Les misérables, et La belle époque, auquel elle a décoché une flèche en le résumant ainsi, non sans à-propos : « C’est l’histoire d’un homme qui retourne inlassablement dans le passé revivre sa rencontre avec sa femme. Alors, lui, il reste à l’âge qu’il a, mais sa femme, c’est pas la vraie, c’est une qui a trente ans de moins. »
Outre les César du meilleur film et du public, Les misérables s’est distingué dans les catégories du montage (Flora Volpelière) et du meilleur espoir masculin (Alexis Manenti). Ému, le réalisateur Ladj Ly a déclaré : « Nous vivons dans un pays blessé, il est temps de s’unir […]. Le seul ennemi, ce n’est pas l’autre, c’est la misère. »

Portrait de la jeune fille en feu est reparti avec un seul César, celui de la direction photo, remis à Claire Mathon, qui a conclu ses remerciements en plaidant pour un futur « sous le signe de l’égalité et de la diversité ».
La belle époque est l’autre gagnant notable de la soirée avec des César pour le scénario original, les décors et le second rôle féminin, décerné à Fanny Ardant, qui y est, de fait, merveilleuse. J’accuse a raflé le César du scénario adapté (Robert Harris), des costumes (Pascaline Chavanne) et, ce dont on parlera assurément longtemps, celui de la réalisation. À noter que toute l’équipe du film était absente.
Sinon, les récompenses furent saupoudrées un peu partout. On pense à la victoire surprise d’Anaïs Demoustier en tant que meilleure actrice pour Alice et le maire devant la favorite, Adèle Haenel. D’ailleurs, on ne compte plus le nombre de fois où on a montré cette dernière à l’écran, traquant ses moindres réactions. Le César du meilleur acteur a, lui, été attribué à Roschdy Zem pour Roubaix, une lumière, d’Arnaud Desplechins.
Parole politisée
Parmi les bons coups, ce touchant montage-hommage à la regrettée Agnès Varda. Et dans un autre registre, cette virée de Florence Foresti chez Isabelle Adjani, actrice détentrice du plus grand nombre de César avec cinq, et que la première imita fameusement. Au menu : une délicieuse autoparodie.
Entre les vannes bien envoyées de l’animatrice, les présentations d’une galerie hétéroclite d’invités se sont en revanche souvent révélées laborieuses, voire carrément gênantes (Jean-Pierre Darroussin, complètement embrouillé). Longue veillée.
Plusieurs lauréats ont cependant profité de l’occasion pour formuler une parole politisée bienvenue. César du meilleur premier film pour Papicha, Monia Médour a confié que cette oeuvre autobiographique constitue « un témoignage important du combat des femmes en Algérie, et du combat des femmes en général. »
César du meilleur documentaire pour Wonder Boy, qui suit un jeune homme dans sa recherche du rabbin qui abusa de lui enfant, Yolande Zauberman s’est elle réjouie qu’on entende enfin « le cri des enfants blessés depuis la nuit des temps ».
Sur le même thème, Swan Arlaud, sacré meilleur acteur dans un second rôle pour Grâce à Dieu, de François Ozon, a rappelé : « On a essayé deux fois d’empêcher la sortie de ce film […]. Si le cinéma a encore ce pouvoir-là, de faire trembler, alors on peut être fiers, parfois. »
Vrai. C’est pourquoi, à l’issue de cette tumultueuse remise, on ne manque pas de se rappeler ces mots de la présidente des César cette année, l’actrice Sandrine Kiberlain : « C’est la dernière cérémonie d’une époque et la première du début d’une autre […]. Je crois aux vertus de la crise. J’ai confiance. »
La liste complète des césarisés
César du Meilleur filmLes misérables, de Ladj Ly
César de la Meilleure actrice
Anaïs Demoustier, Alice et le maire
César du Meilleur acteur
Roschdy Zem, Roubaix, une lumière
César de la Meilleure réalisation
Roman Polanski, J’accuse
César du Meilleur film étranger
Parasite
César du Meilleur espoir féminin
Lyna Khoudri, Papicha
César du Meilleur espoir masculin
Alexis Manenti, Les misérables
César du Meilleur acteur dans un second rôle
Swann Arlaud, Grâce à Dieu
César de la Meilleure actrice dans un second rôle
Fanny Ardant, La belle époque
César du Meilleur premier film
Papicha, de Monia Médour « conte autobiographique »
Meilleurs costumes
Pascaline Chaval, J’accuse
Meilleurs décors
Stéphane Rosenbaum, La Belle époque
Meilleur Long métrage d’animation
J’ai perdu mon corps, de Jérémy Clapin
Meilleur Court métrage d’animation
La nuit des sacs plastique, de Gabriel Harel
Meilleur court métrage
Pile poil, de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller
Meilleur documentaire
Wonder Boy, de Yolande Zauberman
César du public
Les Misérables, de Ladj Ly
Meilleur son
Le chant du loup, d’Antonin Baudry
Meilleur scénario adapté
Robert Harris, J’accuse
Meilleur scénario original
Nicolas Bedos, La belle époque
Meilleur montage
Flora Volpelière, Les misérables
Meilleur photo
Claire Maton, Portrait de la jeune fille en feu
Meilleure musique
Dan Lévy, J’ai perdu mon corps