Le joli film trop sage de Philippe Falardeau

Philippe Falardeau en compagnie de Douglas Booth, l'un des acteurs de son plus récent film
Photo: John MacDougall Agence France-Presse Philippe Falardeau en compagnie de Douglas Booth, l'un des acteurs de son plus récent film

Une chic assistance s’entassait au Palais de la Berlinale, rempli à craquer pour l’ouverture de sa 70e édition. Avant la projection officielle de My Salinger Year, de Philippe Falardeau, que de longs discours en allemand… Les « officiels » remontaient l’histoire du festival en sa cuvée anniversaire, et les noms d’Hitler, d’Alfred Bauer, le fondateur du rendez-vous mis au frais pour cause d’accointances présumées avec le régime nazi, surgissaient au détour. Tout est politique ici. Une minute de silence fut observée à la mémoire des neuf victimes de la fusillade près de Francfort mercredi.

Quand le cinéaste québécois est monté sur scène, il a exprimé sa solidarité envers le peuple allemand, présentant aux invités My Salinger Year comme un film « qui pourrait apporter une petite lumière dans vos esprits en ces temps troublés ».

Avant la cérémonie, devant un trio de journalistes québécois, Philippe Falardeau jouait déjà la note de simplicité. Ouvrir la Berlinale lui paraissait énorme : « C’est un gros projecteur pour un petit film. La démesure ne pourrait-elle lui nuire sur cette tribune mondiale ? » Il affirme avoir réalisé une oeuvre honnête, sans prétendre livrer ici une oeuvre du calibre de ses Congorama et Monsieur Lazhar.

En conférence de presse, une journaliste avait félicité le cinéaste pour avoir su si bien filmer la ville de New York. « Mais on a tout tourné à Montréal », répondit-il, tout sourire, ravi que des spectateurs soient dupes de ses environnements maquillés. Quelques scènes avaient quand même été volées dans le métro de New York.

Au montage, j’ai essayé d’enlever l’esbroufe et coupé dans plusieurs scènes d’humour, en misant sur plus de nuances et de poésie

Tourné en anglais, mais avec une équipe technique souvent québécoise et beaucoup féminine, son film doit beaucoup aux images lumineuses de Sara Mishara et à la musique de Martin Léon, très inspiré.

Rappelons que My Salinger Year, produit à Montréal par micro_scope, sans argent américain, est basé sur le récit autobiographique de Joanna Rakov. Au cours des années 1990 à New York, poète en herbe, elle avait été à 25 ans l’assistante de l’agente littéraire (jouée par Sigourney Weaver) de J.D. Salinger, reclus qui vivait à l’abri des caméras. Son roman L’attrape-coeurs émerveillait ses lecteurs (surtout adolescents) qui croyaient y retrouver leurs affres et écrivaient à l’auteur des lettres enflammées. L’assistante (Margaret Qualley) devait leur répondre.

« Tout est véridique et m’est arrivé », précisait Joanna Rakov. « Ce n’est pas un film sur Salinger, ajoutait le cinéaste, mais sur son effet sur une jeune femme qui veut écrire. » Pourtant grand lecteur, Falardeau n’aura pas lu Salinger avant d’amorcer le projet, s’étonnant d’aimer autant L’attrape-coeurs en son âge adulte.

Impériale Sigourney Weaver

 

L’épicentre du film est cette singulière agence littéraire, tournée vers le passé, sans ordinateurs, alors que l’époque est en train de basculer vers la révolution informatique. Tout paraît figé dans le temps par la prêtresse du lieu pour protéger le monde de Salinger, qui n’a pas publié depuis 30 ans. Le très talentueux Théodore Pellerin, incarne un fan avec son charisme notoire.

Sigourney Weaver déclare avoir aimé son personnage de patronne hautaine : « Ce n’est pas une si bonne personne dans son territoire, mais elle est une lettre d’amour à la littérature. »

Avec la vigoureuse présence à l’écran de la star d’Alien et d’Avatar, immense actrice américaine, l’équipe souhaite trouver à la Berlinale un distributeur américain, territoire naturel pour un film abordant un écrivain new yorkais iconique.

Cette histoire de femmes à New York au cours des années 90, le cinéaste de Monsieur Lazhar en parle comme de son film le plus personnel. Il se reconnaissait dans le personnage de la jeune assistante qui fait des choix de vie. Aussi dans ces fans de Salinger, se rappelant avoir écrit lui-même à ceux qui participaient à la Course destination Monde. Leurs lettres en retour l’avaient encouragé à se lancer dans cette Course, puis à plonger dans le cinéma.

Reste que My Salinger Year divise ici la critique. The Guardian, entre autres, le juge insipide. En fait, il s’agit d’un film charmant mais trop sage. L’impériale interprétation de Sigourney Weaver en maîtresse femme d’édition et de lettres, menant son monde à la baguette, dans l’esprit de l’héroïne de The Devil Wears Prada, toutes émotions celées, fait de l’ombre aux autres acteurs. Surtout à Margaret Qualley, bien fade, autrement plus pétillante en Pussy cat dans Once Upon a time… in Hollywood, de Tarantino. Avec des percées d’humour et ses personnages de femmes indépendantes, le film, truffé de références littéraires, n’a pourtant pas la mièvrerie de maints feel good movies et repose sur une bonne histoire.

« Au montage, j’ai essayé d’enlever l’esbroufe et coupé dans plusieurs scènes d’humour, en misant sur plus de nuances et de poésie », explique Falardeau. L’expression « émotion tranquille », citée dans le film, baigne son atmosphère. Il eût sans doute mieux fait de lui laisser plus de dents.

Odile Tremblay séjourne à Berlin grâce au soutien de la Berlinale et de Téléfilm Canada.

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