«Varda par Agnès»: l’une filme, l’autre cause

Agnès Varda pressentait qu’il s’agissait de son dernier film, et a trouvé une forme qui convenait aux limites de son corps de « vieille potache et non pas de vieille potiche », comme elle se plaisait à se décrire. Dans une suite de causeries, expression qu’elle préfère à classe de maître, sans doute à cause de son refus constant de faire la leçon ou la morale, Varda par Agnès présente un panorama subjectif, fragmentaire, et désordonné de son oeuvre.
Il est bel et bien question ici d’oeuvre, et non pas que de filmographie, dans la mesure où celle que l’on nomme affectueusement la grand-mère de la Nouvelle Vague française a fait ses premiers pas artistiques comme photographe, et depuis plus d’une décennie se présente comme artiste visuelle, férue d’installations.
Ce sinueux parcours comprend, évidemment, une trentaine de films, des fictions et des documentaires (elle aime souvent mélanger les genres), une trajectoire cinématographique inaugurée en 1955 avec La Pointe Courte, avec comme décor la petite ville de Sète, un des paysages de son enfance pour celle qui avait d’abord fui la Belgique pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Sur la scène d’un magnifique théâtre pourvu de sièges rouges ou dans une salle de classe anonyme, Agnès Varda se présente devant nous à coeur ouvert, mais sans gravité ni effet de toge, elle qui se dit « trop légère et trop futile » pour endosser le rôle de la militante. Toute sa vie elle aura pourtant défendu des causes, dont celle de la liberté artistique, pas très cinéphile avant de faire du cinéma, ne connaissant pas les « beaux films » et voulant surtout signer les siens à sa manière. Bien sûr, en filigrane, elle portera haut et fort tous les combats des femmes, mais avec un véritable souci esthétique, et un brin de frivolité (Cléo de 5 à 7, Le bonheur, L’une chante l’autre pas).
Agnès Varda revient sur l’aventure des Cent et une nuits de Simon Cinéma, un hommage au centenaire du septième art… qui n’en demandait pas tant. Une occasion pour elle d’exorciser cet échec cuisant — et évoquer au passage le fait qu’elle ait tourné avec Robert De Niro — qui la conduira vers une simplicité salutaire. Une fois de plus, la cinéaste souligne que l’arrivée des petites caméras numériques à la fin des années 1990 a donné un nouveau souffle à son travail, mais l’échec commercial de ce qui sera sa dernière fiction allait forcément l’éloigner de ces plateaux de tournage pharaoniques.
Période faste
Inspirées de la réalité qu’elle observe avec attention, et depuis toujours (son oeil de photographe pour le Théâtre national populaire de Jean Vilar, et une de ses vedettes, Gérard Philipe, affichait déjà sa sensibilité), les deux dernières décennies de la vie et de la carrière d’Agnès Varda seront parmi les plus fastes, couvertes d’honneurs et de prix. Ce regain d’intérêt a pris sa source dans ses documentaires intimistes, à commencer par le plus sublime d’entre tous, Les glaneurs et la glaneuse, où elle s’approche de ceux et celles qui vivent, ou survivent, grâce à nos tristes habitudes de gaspillage. Une méditation dans laquelle elle se met en scène avec sa candeur habituelle.
Ce n’était pas sa première incursion chez les déshérités, et cela lui avait même valu le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1985 pour Sans toit ni loi, avec une jeune Sandrine Bonnaire, tout juste révélée par Maurice Pialat dans À nos amours. Dans un moment émouvant au milieu d’un paysage aussi triste que ceux du film, les deux femmes reviennent sur ce tournage exigeant, Varda s’excusant à mots couverts de sa douce tyrannie.
Souffrant déjà d’un cancer qui allait l’emporter le 29 mars dernier, Agnès Varda fait ici son ultime bilan (il était nettement plus enjoué dans Les plages d’Agnès), un dernier tour de piste où elle salue tous les gens qu’elle a aimés, dont son célèbre compagnon, le réalisateur Jacques Demy, et remercie sûrement le ciel de lui avoir permis d’accomplir tout ce qu’elle voulait. En toute liberté.