«Vaillancourt. Regarde si c’est beau»: l’esprit libre par excellence

En trame de fond du documentaire: le Black Lake natal d’Armand Vaillancourt
Photo: Les films du 3 mars En trame de fond du documentaire: le Black Lake natal d’Armand Vaillancourt

Lors d’un lointain séjour à San Francisco figurait un arrêt obligatoire à consonance toute québécoise : la fameuse fontaine Vaillancourt, aussi baptisée Québec libre,à deux pas du port, et pas encore à sec pour cause de sécheresse. Cette oeuvre, massive et désordonnée, a survécu au passage des années — elle fut inaugurée en 1971 — ainsi qu’à quelques tremblements de terre.

Armand Vaillancourt n’en glisse pas un mot dans ce portrait intimiste que lui consacre John Blouin. On ne saura donc rien de cette folle aventure artistique, Vaillancourt étant à couteaux tirés avec les autorités municipales pendant son élaboration, pas plus que de ses frasques médiatiques, dont ce passage mémorable, tout à coup flambant nu devant l’animatrice Lise Payette à l’époque de sa gloire d’animatrice irrévérencieuse. Or, des souvenirs, des anecdotes, des réflexions et des confidences, ce n’est jamais ce qui manque à ce créateur dont on peut voir le brouhaha artistique au coin des rues Rachel et de l'Esplanade à Montréal, ou sa magnifique crinière blanche irradiant son physique aussi filiforme qu’athlétique. De ses débuts dans les années 1950 à aujourd’hui, ce fort en gueule impose le respect, capable aussi d’apostropher le réalisateur dans Vaillancourt. Regarde si c’est beau.

Celles et ceux qui connaissent sa démarche tapageuse empreinte de tendresse — selon ses dires, 160 000 élèves québécois ont bénéficié de sa présence incandescente au fil des décennies — ne seront pas surpris de le voir à la fois flamboyant et émerveillé devant les beautés de la nature, un brin rageur, toujours volubile. Cet homme-là se dévoile à la faveur d’un séjour à la campagne, dans sa fermette près de Black Lake, là où il est né en 1929, 16e d’une famille de 17 enfants. Ce qui visiblement a forgé son caractère !

Au milieu d’un immense bric-à-brac créé par celui pour qui chaque objet peut devenir oeuvre d’art, dans un champ à contempler l’immensité ou la finesse d’un pissenlit (qui, à son avis, a inspiré le célèbre architecte américain Richard Buckminster Fuller pour sa Biosphère de Terre des hommes), Armand Vaillancourt précise qu’il a « bien des histoires dans sa tête ». Mais pas question de les garder pour soi ! Ce nomade a travaillé sur les cargos, voyagé pendant des années en auto-stop, dormi en prison. Il souligne, telle une évidence : « Je vais où j’ai envie d’aller. »

Porté par ce qu’il nomme le souffle de la liberté, c’est en traversant ces paysages bucoliques que l’homme se révèle, abordant ses expérimentations musicales avec des instruments peu orthodoxes — il en fait d’ailleurs une étonnante démonstration —, son inépuisable capacité d’émerveillement, égrenant des anecdotes étonnantes sur son enfance et sa jeunesse dans les champs, parmi les animaux et au milieu d’une bruyante fratrie. Selon ses dires, celle-ci fut élevée « comme des poètes », ce qui expliquerait qu’il soit « enflammé par tout ce [qu’il voit] », réflexe normal pour celui qui est né pour une seule chose : « La tempête ! »

Il sait d’ailleurs les provoquer, pour qui connaît sa trajectoire artistique et politique tumultueuse. John Blouin cherche rarement à diriger les discussions, préférant suivre cet esprit libre et vagabond dans ses pérégrinations du moment. Ce qui est sans doute la seule posture cinématographique viable devant un électron libre de la stature d’Armand Vaillancourt, lui que Leonard Cohen a qualifié de géant. Cela plaît à celui dont la forme physique semble être un pied de nez à la vieillesse et à la mort, grimpant des collines et longeant des rivières comme s’il était toujours cet enfant de la campagne sur lequel le temps n’a aucune emprise.

Souvent insolent à l’égard des politiciens et de l’establishment culturel, même s’il a reçu sa part d’honneurs, il l’est aussi envers lui-même, se décrivant avec candeur comme « le bâtard par excellence ». De sa trempe, ils sont rares.

Vaillancourt. Regarde si c’est beau

★★★ 1/2

Documentaire de John Blouin. Québec, 2019, 80 min.