«Les plus belles années d’une vie»: avec son meilleur souvenir

L’exigence en renouant avec Claude Lelouch, du moins pour la critique, c’est éviter d’ouvrir trop vite son sac à préjugés, question de laisser une chance à celui dont on a plus d’une fois annoncé la fin (cinématographique), connaissant bien ses astuces et ses manies, à commencer par cette caméra virevoltante.
Son grand âge a tempéré ses ardeurs, mais pas sa propension à revisiter sans cesse ses thèmes de prédilection, l’amour au premier chef, et son œuvre, Un homme et une femme (1966) en étant la pierre angulaire. Il avait d’ailleurs cédé à la nostalgie et à l’autocitation en commettant Un homme et une femme, 20 ans déjà (1986), un exercice tape-à-l’œil et assourdissant — ce ne fut pas la seule fois de sa longue carrière.
Rien, ou si peu, de tout cela dans Les plus belles années d’une vie, autre film bilan sur une des ruptures les plus célèbres du cinéma, et toujours avec ce couple mythique formé de Jean-Louis Trintignant et d’Anouk Aimée. Tous souffrent d’une amnésie salutaire sur ces retrouvailles ratées d’il y a 30 ans, préférant nous faire croire que le célèbre coureur Jean-Louis Duroc et l’ancienne scripte devenue productrice Anne Gauthier reprennent pour la première fois contact, au soir de leur vie, et après des décennies de séparation à entretenir le souvenir mélancolique de l’autre.
Rarement mise en scène de Lelouch ne s’est tant moulée aux grandes limites physiques de ses acteurs, se faisant résolument minimaliste, car de telles retrouvailles étaient à ce prix. Le jeune et fringant Trintignant, affaibli par l’âge et la maladie, n’est plus qu’une illusion, tout un contraste avec la grâce éternelle d’Aimée, à la chevelure encore magnifique, reproduisant plus lentement ses moues d’autrefois. C’est à ces gestes, ces regards, ces silences, et aussi ces longs bavardages bien caractéristiques chez Lelouch que se tissent ces liens renouvelés, à l’ombre d’une chic maison de retraite de Normandie, là où l’ancien coureur (de bagnoles et de jupons) attend la mort, « cet impôt sur la vie ».
Le fils de l’amoureux toujours transi, Antoine (Antoine Sire, le petit garçon du tout premier film, flanqué de Souad Amidou, qui incarne la fillette de l’héroïne aujourd’hui adulte), persuade sans mal cette grand-mère, et commerçante, de visiter son père, qui ne cesse de parler d’Anne, alors qu’il oublie toujours tout. Au fil des rencontres se cristallisent des visions d’abord furtives de cette liaison déterminante, bien sûr alimentées par une foule d’extraits du premier film, dont cette séquence mémorable en voiture où les rues de Paris au petit matin ressemblaient au 24 heures du Mans.
Ce sont pourtant les scènes de badinage amoureux sous le ciel cotonneux de Normandie qui constituent les moments les plus doux, les plus lumineux, de cette romance sans fioritures, où les visages ridés des deux stars se révèlent comme un paysage en soi. Certaines, très longues, mais rarement ennuyeuses, sont ponctuées de séquences fantasmées (entre le burlesque et le grotesque) permettant aux protagonistes de revenir à Deauville, lieu devenu mythique, comme le fut Saint-Tropez grâce à Et Dieu créa la femme (avec Trintignant, encore !), moments ressemblant davantage à une visite muséale. Les célèbres sonorités accrocheuses du compositeur Francis Lai, avec en écho la voix de Nicole Croisille, ajoutent une pierre de plus à cet hommage jamais ostentatoire, mais nostalgique à souhait.
On a souvent répété que Lelouch sera toujours Lelouch. À l’image de ses personnages, il prend acte du temps qui passe et qui fait inexorablement son œuvre, demeurant fidèle à lui-même, mais avec le pied un peu moins lourd sur l’accélérateur. De quoi confondre les uns et les autres…