«The Disappearance of my Mother»: duel intime mère fils

Benedetta Barzini n’aime pas la caméra. À 76 ans, l’ex-top-modèle, féministe et marxiste, qui a fait la première page des plus grands magazines de mode dans les années 1960, ne souhaite qu’une chose, c’est que son fils, Beniamino Barrese, cesse de la filmer. Mais entre le blesser lui, dans son désir de réaliser un film sur elle, et se blesser elle-même, elle a opté pour le deuxième choix. C’est ainsi qu’est né La scomparsa di mia madre (La disparition de ma mère), le film d’ouverture des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), qui sera présenté jeudi.
Le cinéaste s’y intéresse à sa mère, son sujet de prédilection, et à sa volonté de disparaître. Disparaître, donc, mais pour aller où ? C’est une question que le film ne résout pas. Mais le refus de l’image de Benedetta Barzini devient, paradoxalement, son message le plus fort et par conséquent, celui de tout le film.
« Je m’intéresse aux choses qui ne peuvent pas être vues », dit-elle. L’image des femmes, celle qui est transmise à travers l’industrie de la mode, ce sont les hommes qui l’ont créée, ajoute-t-elle. En tant que professeure d’anthropologie de la mode, Benedetta Barzini explique à ses étudiants que la mode est autant un moyen d’expression qu’un moyen d’oppression. Les maîtres de l’image, dit-elle, « définissent jour après jour les règles à suivre » pour ceux qui les écoutent. Les femmes âgées ne sont pas valorisées parce qu’elles symbolisent la mort, les femmes plus jeunes le sont parce qu’elles symbolisent la vie.
« La beauté n’est pas un talent »
À travers le journal de Benedetta Barzini, qui est lu par différentes protagonistes, on apprend par ailleurs que, jeune fille, l’ex-mannequin souffrait d’anorexie et contrôlait énormément son alimentation. Un jour, quelqu’un la photographie dans la rue. Cette photo retient l’attention de Consuelo Crespi, la rédactrice en chef du Vogue italien. Quelques jours plus tard, elle reçoit un télégramme de Diana Vreeland, du Vogue américain, qui l’invite à venir à New York pour la publication. Benedetta Barzini y restera cinq ans et y fréquentera tout le gratin américain, d’Andy Warhol à la famille Kennedy, de Richard Avedon à Gerard Malanga.
« La beauté n’est pas un talent », dit-elle cependant à son fils tandis qu’elle se prépare à recevoir un prix.
À ses étudiants, elle présente le tableau La Vierge de l'Annonciation, d’Antonello da Messina, la seule reproduction de la Madone en train de lire, alors qu’elle est d’ordinaire confinée à son rôle de mère. Dans la culture populaire, « la femme est associée à la nature, l’homme à la pensée et à la raison », précise-t-elle. Or, les gens, les femmes en particulier, disparaissent derrière le concept de beauté. Pourtant, c’est Benedetta Barzini qui a fait dire au cinéaste Gerard Malanga : « L’intelligence invente la beauté. »
En 1973, Benedetta Barzini a quitté le monde de la mode pour devenir une féministe et une marxiste radicale, professeure et écrivaine. Dans une entrevue accordée au magazine Vogue en 2018, elle explique que c’est uniquement en cessant d’être préoccupé par le souhait de disparaître que l’être finit par se trouver.
Ce thème de la disparition revient pourtant tout au long du film de Beniamino Barrese qui tente, avec inquiétude, de comprendre ce désir profond d’effacement de sa mère. Tel un voyeur impénitent, le spectateur assiste, dans les détails, à ce duel intime entre une mère et son fils.
À voir aussi aux RIDM
Wilcox, de Denis Côté, un film sur l’errance. Sans paroles.
Overseas, de Sung-A Yoon, sur la formation de domestiques aux Philippines.
Chatwin, de Werner Herzog, sur les traces de l’écrivain-voyageur Bruce Chatwin.
This Is not a Movie, de Yung Chang, autour du travail du journaliste international Robert Fisk.
Le fond de l’air, de Simon Beaulieu : un montage sur l’écoanxiété réalisé à partir de vidéos amateurs.