Louise Archambault, l’amour qui hante, l’amour qui sauve

Le film de Louise Archambault sera présenté en ouverture du FCVQ.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le film de Louise Archambault sera présenté en ouverture du FCVQ.

Du 12 au 21 septembre se tiendra dans la capitale nationale un rendez-vous cinématographique parmi les plus dynamiques : le Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ), fête cinéphile ayant pu renaître de ses cendres grâce à l’impulsion du directeur général et artistique Ian Gailer. Depuis lors, l’événement phénix offre sans faillir une programmation de haut vol où titres anticipés et découvertes se côtoient. Présenté en ouverture, Il pleuvait des oiseaux, de Louise Archambault, relève résolument de la première catégorie.

Le joyau — aussi repiqué par le TIFF, qui en a fait un des beaux morceaux de sa présente édition — Il pleuvait des oiseaux tourne autour de deux ermites abitibiens, Charlie (Gilbert Sicotte) et Tom (Rémy Girard), qui, peu après le décès de leur compagnon Boychuck (Kenneth Welsh), voient leur quiétude mise à mal par l’arrivée d’une femme, Marie-Desneige (Andrée Lachapelle), en fuite de l’établissement psychiatrique où elle fut jadis internée à tort. Gérant d’une auberge sylvestre peu fréquentée, le neveu de cette dernière, Steve (Éric Robidoux), a organisé cette « relocalisation ».

Entre en scène Rafaëlle (Ève Landry), une photographe venue recueillir les témoignages des survivants d’un tragique incendie de forêt survenu naguère. Cela, alors que d’importants feux font rage dans la région.

De confier une dame (Patricia Nolin) touchée par le sinistre autrefois : « On est hanté par l’amour. » Si cette idée court en filigrane du récit, une seconde, jamais explicitée mais illustrée avec force émotion, s’impose tout autant, à savoir : « On est sauvé par l’amour. » « Je suis tellement d’accord !, s’exclame Louise Archambault. Il y a à cet égard deux parcours croisés dans l’histoire : celui de Boychuck, qui s’est retiré de la vie parce qu’il ne savait plus comment aimer et n’arrivait pas à choisir en amour, et celui de Marie-Desneige, qu’on a empêché de vivre et empêché d’aimer, et qui, à 80 ans passés, saisit cette deuxième chance qui se présente à elle. »

Qu’on ne vienne pas me dire que j’ai plus de facilité à tourner en ce moment parce que je suis une femme : j’ai eu un hit, j’ai travaillé fort, et il ne s’est rien passé. Heureusement que j’ai eu la télévision. 

Doté, on l’aura compris, d’une distribution fabuleuse comptant également Marie-Ginette Guay et Louise Portal, le film est une adaptation du roman de Jocelyne Saucier paru en 2011.

« Ma grand-mère, qui à présent est décédée, a toujours été ma pusher de livres, relate Louise Archambault. Mais celui-là, c’est moi qui le lui ai fait lire. Je lui ai demandé si elle croyait que ça pouvait donner un film, parce que pour ma part, je voyais des images, des textures ; je percevais les parfums de la forêt… Ce roman-là éveillait tous mes sens. »

De poursuivre la cinéaste, les thèmes, dont celui de la liberté, la touchèrent. Car un des aspects qui frappe, c’est la difficulté qu’ont ces gens désireux d’exister hors de la société d’être laissés en paix par celle-ci.

« Il se dégageait de cette intrigue quelque chose de plus grand que moi, de plus grand que mon quotidien. Ce roman-là m’a habitée longtemps après que je l’ai refermé. »

Décidée, Louise Archambault se présenta à Jocelyne Saucier dans un salon du livre : fructueux entretien. « Jocelyne m’a donné carte blanche. Elle est venue quelques fois sur le plateau, mais en retrait, pour observer et non pour surveiller. Mais malgré ça, cette confiance qu’elle m’a témoignée, j’étais soucieuse d’obtenir son sceau d’approbation à la fin. Ça m’importait qu’elle soit fière. Je n’aurais pas voulu qu’elle sente que j’avais trahi son roman. Sans être autobiographique, il y a, à titre d’exemple, le personnage de Marie-Desneige qui est en partie inspiré de sa propre tante. On ne traite pas ça à la légère : je voulais être bienveillante par rapport à l’histoire tout en m’assurant de prendre les décisions nécessaires pour que ça fonctionne en film. J’ai notamment fusionné deux personnages. »

Dans le rôle de Marie-Desneige justement, cette femme à qui on a volé sa vie, mais qui s’en crée une autre, Andrée Lachapelle est magnifique. Au contact de cette nouvelle venue résiliente sous des dehors frêles, la misanthropie de Charlie se dissipe. Devant le petit lac sis au creux des vastes étendues de conifères, une passion que ni l’un ni l’autre n’attendait plus revitalise les amants tardifs, aussi intense que le brasier qui se rapproche.

« Andrée a été merveilleuse. Elle était complètement partante, entre autres pour la scène d’amour : sa première en carrière. Gilbert et elle ont été d’une générosité vraiment inspirante. Je revois Gilbert sur le matelas trop mou, contemplant son torse nu et concluant : “Ouin, ben j’ai l’âge que j’ai.” Mais ils se sont abandonnés à l’exercice, à l’écoute et sans ego ; ils ont fait confiance… »

Magie, Louise Archambault ayant l’art de caresser les visages de ses interprètes, de sa caméra intimiste et attentive. À la direction photo, Mathieu Laverdière (Les êtres chers) a encore su y faire. À ce sujet, la réalisatrice précise toujours prioriser le travail avec les acteurs pendant le tournage. Or, lorsqu’on dispose de 26 jours seulement, avec de nombreuses séquences en pleine nature par surcroît, chaque minute est comptée. Qu’à cela ne tienne, Louise Archambault préfère des comédiens à l’aise, quitte à devoir ultérieurement « se retourner sur un dix cents ».

« Je pense à cette scène au début, où les trois gars se baignent dans le lac, nus. J’en avais longuement discuté avec Kenneth et il était emballé. Mais au moment de tourner, il avait soudain des doutes. Il n’était pas à l’aise à l’idée de nager : dans sa piscine, ça allait, mais dans un lac, il n’était plus sûr du tout. Et il ne voulait plus tourner nu. J’ai pris le temps qu’il fallait pour parler avec lui, afin qu’il ne se sente pas brusqué. J’ai demandé l’assistance de notre guide afin qu’on trouve un moyen de rendre ça facile pour Kenneth… Finalement, la journée s’est très bien déroulée et Kenneth a fait tout ce qu’il devait faire. Il avait juste besoin d’être sécurisé. Ce faisant, je savais que ce temps, je ne l’aurais pas pour les scènes suivantes ce jour-là, mais c’était correct. Il faut savoir se débrouiller. »

Fruste mais beau

 

Ode à l’amour, à l’espoir et à la liberté, pour reprendre la formule de Louise Archambault, Il pleuvait des oiseaux marque son retour à l’avant-scène, ou enfin derrière la caméra, après que son film Gabrielle eut remporté le succès et les honneurs que l’on sait en 2013-2014. Après cet hiatus cinématographique bien involontaire, c’est en lionne qu’elle revient, ce film-ci précédant de quelques mois à peine la sortie d’un autre : Merci pour tout, un road movie comique avec Magalie Lépine-Blondeau et Julie Perreault, attendu à Noël.

« La carrière internationale de Gabrielle a fait en sorte que j’ai reçu pas mal d’offres des États-Unis, de l’Europe… J’ai consacré beaucoup de temps à un projet en France, qui n’a malheureusement pas abouti. Ici, un autre projet qui me tenait à coeur n’a pas passé au financement. »

Un troisième, une adaptation du roman Tarmac, de Nicolas Dickner, qu’elle continue de pousser, suivait son cours, mais Il pleuvait des oiseaux fut approuvé avant. D’ailleurs, ce doublé de films en 2019 est purement circonstanciel (Merci pour tout lui a été proposé). « Qu’on ne vienne pas me dire que j’ai plus de facilité à tourner en ce moment parce que je suis une femme : j’ai eu un hit, j’ai travaillé fort, et il ne s’est rien passé. Heureusement que j’ai eu la télévision. »

Et la lecture, en l’occurrence. Mais au fait, porter à l’écran un roman aussi primé l’intimidait-elle un brin ? « Au début du processus, le roman n’avait pas encore acquis cette popularité immense et remporté tous ces prix. Mais même par la suite, ce qui m’importait était de rendre justice à l’histoire et aux personnages. S’il y avait un stress, c’était peut-être d’intéresser les spectateurs, parce qu’il est après tout question d’ermites âgés, dans le bois : pas le pitch le plus vendeur. Et pourtant ! Oui, c’est un peu fruste — c’est ce que c’est —, mais c’est plein de lumière et de beauté. »

On ne saurait mieux dire.

 

Il pleuvait des oiseaux prend l’affiche le vendredi 13 septembre. Il sera présenté en avant-pemière au TIFF aujourd’hui et demain avant de prendre la route pour ouvrir le FVCQ le jeudi 12 septembre à 20 h.