«Des armes et nous»: pour ne plus trembler

Partiellement tourné en noir et blanc, «Des armes et nous» propose un collage d’entrevues, d’introspections et d’effets spéciaux.
Photo: FDA-F3M Partiellement tourné en noir et blanc, «Des armes et nous» propose un collage d’entrevues, d’introspections et d’effets spéciaux.

Je n’ai pas connu Lysanne Thibodeau de son vivant. Mais Des armes et nous, son dernier film diffusé à titre posthume, semble résumer l’oeuvre d’une vie, ou du moins ses espoirs. Film partiellement tourné en noir et blanc, collage d’entrevues, d’introspections et d’effets spéciaux, Des armes et nous est aussi un vigoureux plaidoyer pour le contrôle des armes à feu. La circulation des armes, Lysanne Thibodeau en a été une victime collatérale. Adolescente, elle a retrouvé son frère et sa mère morts, le premier ayant assassiné la deuxième avec la carabine de son défunt père avant de se suicider.

Le film s’ouvre sur ce constat. « Ça me fait très peur, les armes à feu. Je pense que c’est fait pour tuer, plus que pour se défendre », dit une intervenante. Pour faire écho à sa souffrance, Lysanne Thibodeau est allée à la rencontre de personnes qui ont vécu une expérience comparable à la sienne, ce coup de feu qui met, d’un coup sec, un terme à une vie aimée. On y plonge dans le regard de cette Américaine, dont la mère a été abattue par un inconnu entré par effraction dans la maison. Ou de cette mère qui a perdu son fils au cours d’une altercation armée à Montréal. « Pourquoi les jeunes possèdent-ils des armes à feu ? Comment font-ils pour se les procurer ? », demande cette Montréalaise.

Dans la maison, il y avait des dizaines d’armes de chasse, raconte la première. Or, aucune d’entre elles n’aurait pu servir à défendre la mère en danger, puisqu’elles étaient hors de portée au moment où le tireur est entré. Alors, à quoi sert de posséder une arme ?, demandent les victimes de ces meurtres.

Parallèlement, Lysanne Thibodeau a rencontré des amateurs, voire des collectionneurs d’armes à feu. L’un d’eux, déployant sur une table une panoplie de modèles, raconte comment il lui tarde de voir sa petite fille viser sa première cible. Tenir une arme à feu, reconnaît-il, c’est détenir un pouvoir. « C’est la puissance, tu sais, sentir la puissance, dit-il. C’est un peu un power trip, un gun. Mais tu utilises ça à bon escient. Tu as quelque chose de puissant dans tes mains qui peut donner la mort, mais tu choisis de pas donner la mort avec ». Le film présente également des images d’enfants tirant sur des cibles dans la campagne québécoise, ou de jeunes hommes vendant leurs armes sur Internet. Aux États-Unis d’ailleurs, 40 % des transactions concernant des armes se font entre propriétaires, loin des contrôles.

Des chiffres

 

En 2017, les États-Unis comptaient 317 millions d’armes à feu pour 325 millions d’habitants. Ce même pays a assisté à 290 fusillades dans les écoles depuis 2013.

En 2003, au Canada, lit-on encore, 80 % des morts par balles étaient liées à des suicides.

Au fil de ces conversations et de ces statistiques, c’est la vie elle-même que l’on sent circuler à travers le film, dans le coeur battant des cibles visées comme dans l’oeil des tireurs. Au moment de mourir, Lysanne Thibodeau s’était-elle libérée de ses hantises anciennes ? Et souhaitait-elle en libérer la postérité ?

Des armes et nous

★★★★

Film de Lysanne Thibodeau. Canada, 74 minutes, 2019.

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