«Cold Case Hammarskjöld»: chronique d’une mort planifiée

Le documentariste danois Mads Brügger (à l'arrière sur la photo) est visiblement en mal d’attention en se plaçant constamment devant la caméra.
Photo: Métropole Films Distribution Le documentariste danois Mads Brügger (à l'arrière sur la photo) est visiblement en mal d’attention en se plaçant constamment devant la caméra.

Pourriez-vous nommer, sans hésiter, le nom de l’actuel secrétaire général de l’Organisation des Nations unies ? Les mains levées seraient sans doute peu nombreuses, tout comme à la fin des années 1950, quand Dag Hammarskjöld, un Suédois, en dirigeait les destinées. Son nom a pourtant été sur toutes les lèvres lorsqu’en septembre 1961, il a péri dans un accident d’avion, alors en route pour le Congo, à l’époque à feu et à sang.

Ni intempéries, ni bris technique, la cause est depuis longtemps entendue, à défaut d’être officielle : grand défenseur du mouvement de décolonisation des pays africains, Hammarskjöld a payé de sa vie son zèle de faire du continent une terre libre de l’emprise des anciennes puissances coloniales, et des grandes compagnies. Le documentariste danois Mads Brügger, visiblement en mal d’attention en se plaçant constamment devant la caméra, reconnaît qu’il ne cherche pas justice pour celui qu’il juge comme un bureaucrate égaré dans une screwball comedy. Or, dans Cold Case Hammarskjöld, il se retrouve aspiré par cette histoire plus grande, plus scandaleuse, et plus sordide, que le meurtre du premier grand fonctionnaire de la planète.

Dans deux chambres d’hôtel situées près de lieux clés de cette affaire rocambolesque (ce qui précède n’est que la pointe de l’iceberg), Mads Brügger dicte le déroulement du film, ainsi que ses multiples découvertes, à deux secrétaires qui agissent souvent à titre de spectatrices, souvent interloquées, complétant ses phrases, exigeant une information précise, ou une pause pour encaisser l’ampleur des révélations. Et elles sont nombreuses, à commencer par la désinvolture des autorités locales, et internationales, à faire la lumière sur la catastrophe aérienne (aucun témoin direct ne fut questionné par la police), et le nombre d’aberrations aurait rendu Hercule Poirot perplexe. Mais le célèbre détective belge imaginé par Agatha Christie aurait-il pu jouer au fin limier ?

Cette disparition spectaculaire met vite en lumière l’agitation des empires en déclin, la Belgique au premier chef, devant une émancipation africaine qui fermerait pour de bon les robinets de leur prospérité. Et comme dans tous les conflits internationaux, les véritables acteurs préfèrent travailler dans l’ombre, ou derrière de curieux paravents, comme celui de la South African Institute of Maritime Research, une organisation dont le nom indique surtout que, pendant des décennies, elle a navigué en eaux troubles…

Déstabilisation militaire de régimes dérangeants au goût des puissants, assassinats ciblés, propagation délibérée, par la vaccination, du virus du sida parmi les populations noires en Afrique (sur cet aspect, toutes les preuves ne sont pas établies) : les véritables objectifs de ce pseudo-institut n’étaient pas claironnés sur tous les toits, mais bien connus du MI6 et de la CIA. Même la célèbre Commission vérité et réconciliation tenue en Afrique du Sud sur les ravages de l’apartheid a retrouvé des documents qui laissent peu de doutes sur l’idéologie suprémaciste blanche qui animait les têtes dirigeantes de ce commando sans foi ni loi.

Tout n’est pas limpide dans cette vaste enquête dont les ramifications sont multiples, et plusieurs acteurs peu bavards (l’un d’entre eux a fui l’Afrique du Sud après avoir causé, longuement, à visage découvert), encombrée aussi par la présence d’un cinéaste prenant la posture d’un Michael Moore scandinave, et dont l’accent pourrait le confondre avec Werner Herzog. Et si Cold Case Hammarskjöld donne raison à tous ceux pour qui chaque scandale s’explique sous le prisme de la théorie du complot, ils seront ici servis. Mais peu importe leur notoriété, l’ennui ou l’anxiété qu’ils inspirent, le grand manitou de l’ONU occupe une position aussi essentielle que délicate. Le Portugais Antonio Guterres, secrétaire actuel, en sait sûrement autant que Mads Brügger, les artifices en moins.

Cold Case Hammarskjöld

★★★ 1/2

Documentaire de Mads Brügger. Danemark / Belgique / Norvège / Suède, 2015, 124 min.