Un gars, deux filles, trois têtes

Globe-trotteur qui compte 60 pays à son actif, Alex B. Martin rêvait de réaliser un film sur l’amitié. L’amitié, ses tracas, ses pièges et « tout ce qui m’est déjà arrivé en voyage », admet-il. Le résultat : Cuba merci gracias, un film pas si léger.
À la plage, autour d’une bière ou en taxi, deux amies, Alexa et Emmanuelle (« Manue », selon le générique), discutent de tout et de rien, jusqu’à ce que leur profonde complicité soit mise à l’épreuve. Filmée caméra à l’épaule, et « le son » dans un sac sur le dos, selon le réalisateur touche-à-tout, cette fiction aux airs de cinéma réalité évite la simple escapade touristique.
« L’amitié en voyage, dit celui qui fait ses premiers pas dans le long métrage, c’est un thème que j’ai toujours voulu traiter. Faire un film centré sur les rapports d’amitié, sans rien d’autre. Le voyage libère l’espace de toute autre forme de relation. »

L’amitié, dans son essence. Pleine de vérités, de confidences, de propos sans gants blancs et, le cinéaste y tenait, entièrement féminine. En clin d’oeil aux 5 à 7 que sa mère organisait jadis en sa présence.
« J’admire ce rapport entre femmes, très libéré. Les hommes vont moins rapidement dans l’intimité. Nous parlons davantage de ce que l’on fait et non de ce que l’on vit », a-t-il constaté.
Toujours collés
Auteur de plusieurs courts, Alex B. Martin n’est pas la réincarnation d’Éric Rohmer, le cinéaste de la Nouvelle Vague décédé en 2010. Il y a pourtant dans Cuba merci gracias des relents de Pauline à la plage (1983), classique rohmérien.
Les points communs : deux femmes en vacances dans le Sud, une intrigue autour des rapports humains et la « joute de la séduction » en élément perturbateur. Le tout narré avec une économie de moyens.
Le choix d’une petite équipe était indispensable au réalisateur rimouskois, qui a tenu la caméra et assumé la prise de son. « On dormait dans une chambre, les trois. On était toujours ensemble. Ça a créé l’inconfort de l’omniprésence (de l’autre), ce dont traite le film. Chacun dans notre chambre, on aurait perdu ça », croit-il.
Si Martin n’est pas Rohmer, c’est que son récit n’est pas fixé en mots. Sa préférence pour les dialogues improvisés l’éloigne même de son illustre confrère.

Cuba merci gracias respire une belle spontanéité. Il est né sur un coup de tête, a été bâti dans un temps court : trois semaines après l’accord des deux interprètes et amies du réalisateur (Alexa-Jeanne Dubé et Emmanuelle Boileau), le trio se retrouvait à La Havane. Le défi : tourner en deux semaines. « C’est du sport », se remémore Alexa-Jeanne Dubé.
Un trip à trois
Un gars derrière la caméra et deux filles à l’écran : Cuba merci gracias, c’est ça et bien plus. C’est un trip à trois, d’amitié et de création. Car la bonne tenue du (vague) scénario dépendait des mots des actrices, réalisatrices aussi dans la vie.
« Nous avions des canevas et il fallait arriver à eux, dit Alexa-Jeanne Dubé, connue pour ses présences multiécrans (Faits divers, Féminin / Féminin). Nous étions constamment en état de jeu et en état d’écriture. Nous ne sommes pas qu’interprètes. »
L’entrevue en temps normal, suppose-t-on, se serait déroulée avec les trois têtes du projet. Or, Emmanuelle Boileau, vidéaste plus qu’actrice, se trouvait sur une autre île (Anticosti). La complicité est évidente du moins entre Martin et Dubé, déjà réunis dans un autre film à petit budget qui flirtait avec le vrai et le faux — Claire l’hiver (2017), de Sophie Bédard Marcotte.
Oeuvre collective, Cuba merci gracias s’est construite jour après nuit, canevas après canevas, chacun consacré à une facette des personnages. L’une est extravertie et spontanée, l’autre réservée et réfléchie. L’important, aux yeux d’Alex B. Martin, c’était leur « dynamique relationnelle ». Et Cuba dans tout ça ? Un décor, prêt à être filmé.
Les Havanais sont inclus tels qu’ils sont, captés souvent par le hasard des rencontres. Le trio québécois avait choisi de se rendre au Malecón, célèbre promenade en bord de mer, convaincu de trouver prétexte à un cigare, à une scène musicale.
« La danse n’était pas prévue, concède cependant Alexa-Jeanne Dubé. On marchait seulement et on s’est fait prendre par des Cubains. Nous avons réagi comme nos personnages. »
Une fois la caméra éteinte, la petite équipe a fait comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un film amateur. Convaincre les protagonistes, au Malecón ou ailleurs, de signer le formulaire de consentement n’a pas été compliqué, à en croire le cinéaste. Les Cubains sont si portés par la rencontre…
« Le contact est facile, insiste sa complice. Tu te fais dire que tu es belle chaque minute et demie. »
Le récit se déroule ainsi, de découverte en découverte, d’un clin d’oeil à un pas de danse, non sans entretenir un doute sur la part de vrai et la part de jeu. D’où le choix de garder les prénoms des actrices et les images prises telles quelles, même dans l’obscurité. « On a exagéré les traits de nos personnalités pour créer des personnages et créer finalement un conflit », confie la voix féminine présente à l’entrevue.
« Le but était de faire un film où l’on se demande pourquoi on arrive à deux filles qui s’entretuent. Il ne s’est rien passé. Of course, on peut se rendre là. Nous avons tous ces rapports avec nos proches », croit Alex B. Martin.
Cuba merci gracias prend l’affiche le 16 août.