Natasha Kanapé Fontaine, une poétesse au front

Ils étaient amis… et le sont demeurés. Car pendant plus de deux ans, le cinéaste Santiago Bertolino a suivi de près l’artiste multidisciplinaire Natasha Kanapé Fontaine : en répétitions, dans des salons du livre, des festivals, des soirées de poésie, sur la route, dans le Grand Nord, ici et à l’étranger. Rien ne pouvait d’ailleurs faire plus plaisir à ce documentariste, qui « se sent à l’aise dans n’importe quel pays » et qui prépare en ce moment un film sur l’Amazonie, désireux de capter une parole forte et singulière, celle d’une poète innue que l’on pouvait voir à la télé (dans Unité 9) et d’une militante qui monte aussi sur les planches.
Une de ces deux années est illustrée dans le documentaire NIN E TEPUEIAN – MON CRI, film d’ouverture du festival Présence autochtone, qui démarre mardi. À quelques jours de l’événement, les deux camarades de création affichaient une certaine fébrilité, et surtout beaucoup de fierté devant l’aboutissement de cette démarche de longue haleine, tournée avec peu de moyens, si ce n’est le luxe du temps et de la souplesse. Toujours prêt à promener sa caméra là où ça chauffe — à l’intérieur d’un Cégep du Vieux-Montréal sens dessus dessous pendant le Printemps érable de 2012 (Carré rouge sur fond noir), au Caire ou à la frontière de la Syrie (Un journaliste au front) —, Santiago Bertolino aurait pu suivre Natasha Kanapé Fontaine jusqu’au bout du monde.
Dans mon prochain spectacle, la majorité de l’équipe est composée d’Autochtones qui n’étaient ni scénographes ni concepteurs sonores il y a 2, 3 ans. Car ça m’a fait mal d’entendre qu’il n’y avait pas d’artistes et de créateurs autochtones ; c’est comme si nous étions dépossédés de notre pouvoir de création.
Ceux qui la connaissent ne seraient d’ailleurs pas surpris de la croiser aussi loin, portée par un désir profond de faire entendre la parole des peuples autochtones, et surtout la sienne, marquée par toutes sortes de difficultés et d’écueils. Elles marquent son oeuvre poétique (N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures; Kuei, je te salue; et Nanimissuat. Île-tonnerre) et constituent la trame de toute sa vie de créatrice, qui se décline autant par le slam que par les slogans politiques au service du mouvement Idle No More.
La proposition de Santiago Bertolino, qui comportait sa part de contraintes, dont celle de la sphère de l’intimité (« Je voulais plus de scènes de sa vie personnelle, mais elle m’a mis une limite », concède le cinéaste), représentait aussi un avantage certain pour l’artiste dans sa mire, dont une part du travail est marquée par l’éphémère. « J’avais 25 ans à l’époque, c’était le moment où les choses commençaient à se placer, et j’avais envie d’avoir des archives, des images de ce moment, confie-t-elle. Pendant longtemps, je n’aimais pas ce que je faisais, et je ne savais plus quelle était ma mission. Ce film me reconfirme dans mes choix, dans ce que je peux apporter aux Innus, aux autres peuples autochtones et à la société en général. »
Devant NIN E TEPUEIAN – MON CRI, on comprend que Natasha Kanapé Fontaine va aussi là où le vent la pousse, celui de la liberté comme celui de la révolte, un jour dans un festival de poésie en Slovénie, le lendemain à Rimouski, là où elle a fait ses études collégiales en arts, qui furent déterminantes dans sa trajectoire, un autre au Dakota du Nord. Cet épisode du film souligne les derniers moments d’une vaste mobilisation contre la construction d’un oléoduc, des mois de contestations qui avaient débuté à l’été 2016 et dont la ville de Standing Rock était l’épicentre. En décembre de la même année, les deux comparses s’y sont rendus en voiture, un voyage éclair, imprévu et éreintant, dont ils se souviennent encore, marqués par le caractère spectaculaire de cette lutte environnementale et autochtone (« On en a vu la fin, les manifestants étaient tous épuisés », souligne Bertolino) et un fort climat de tension (« Les gens refusaient d’être filmés, ils ont été souvent infiltrés », se rappelle Fontaine).
Au cours de cette escapade, la poétesse sera une fois de plus au front, mais également en retrait, éprouvant une certaine pudeur à se retrouver au centre de l’image, davantage en position de recueillement devant le courage de ces résistants qui allaient bientôt rendre les armes face au rouleau compresseur des pétrolières. Cette défaite constitue pour Bertolino et Fontaine une autre occasion de rebondir, de continuer leurs combats communs et respectifs, qu’ils prennent la forme d’un documentaire, d’un spectacle théâtral ou d’un recueil de poésie.
Le cinéaste, qui en était à ses débuts de monteur avec NIN E TEPUEIAN – MON CRI, par intérêt, mais aussi par nécessité devant la maigreur du budget de production, a pu dégager des 250 heures d’images tournées les thématiques qui dominaient alors l’oeuvre et le discours de Fontaine, soit « la blessure coloniale, l’importance de la langue, l’urgence de créer ». Une urgence décuplée chez la femme de théâtre qui présentera dès la fin août son premier spectacle solo, inspiré d’un de ses recueils de poésie, Bleuets et abricots, au théâtre La Chapelle. Une réponse, subtile et indirecte à la polémique entourant Kanata, la production de Robert Lepage et du Théâtre du Soleil, qui faisait rage il y a plus d’un an.
« J’ai vécu une forte anxiété, se souvient la militante, le débat était très cacophonique, mais un an plus tard, de belles collaborations sont nées. Dans mon prochain spectacle, la majorité de l’équipe est composée d’Autochtones qui n’étaient ni scénographes ni concepteurs sonores il y a 2, 3 ans. Car ça m’a fait mal d’entendre qu’il n’y avait pas d’artistes et de créateurs autochtones ; c’est comme si nous étions dépossédés de notre pouvoir de création. Ce spectacle prouvera le contraire. »
Dans NIN E TEPUEIAN – MON CRI, Santiago Bertolino a amplement prouvé qu’elle en est capable, et rien ni personne ne l’empêchera de continuer.
Dans le cadre de Présence autochtone, NIN E TEPUEIAN – MON CRI sera présenté le dimanche 11 août à 20 h 45 au Cinéma du Parc et sortira en salle au Québec le 24 janvier 2020.