«The Last Black Man in San Francisco»: le droit à un ailleurs meilleur

Jadis la Harlem de l’Ouest, San Francisco a chassé de son coeur les populations noires. Elles vivent en périphérie, dans des quartiers moins « cartes postales », comme celui qu’habitent les personnages de The Last Black Man in San Francisco. La charge envers une San Francisco gentrifiée en est le fil conducteur.
Doublement primée à Sundance au début de l’année, cette fiction s’appuie autant sur ce solide propos politique que sur une belle envolée poétique. Et avec le décor grandiose de la baie de San Francisco et de ses rues escarpées, le premier long métrage de Joe Talbot a beaucoup d’éléments pour plaire.
Le récit est ancré dans la communauté noire de San Francisco. Leur quartier, sur fond d’industrie portuaire et de terrains en friche, semble tristounet, sans âme, à l’instar du prédicateur qui prêche seul, debout sur sa boîte. En dehors du gang maître de la rue, il ne s’y passe pas grand-chose.
Les raisons de colère ne manquent pas, mais Joe Talbot n’est pas Spike Lee. Sa critique sociale est moins portée par les cris et la violence. Son style tient davantage du regard contemplatif, d’où les nombreux plans de rue, et surtout d’un optimiste contagieux, à l’instar des ralentis qui exaltent la joie de vivre.
The Last Black Man in San Francisco est un film sur l’amitié entre deux hommes et sur l’amour d’une ville (San Francisco). Il revendique aussi le droit de rêver. Les scènes où les deux personnages principaux, Jimmie (Jimmie Fails, crédité aussi au scénario) et Montgomery (Jonathan Majors), glissent ensemble sur une même planche à roulettes sont une ode à la liberté et à la différence.
Jimmie et Montgomery sont deux grands rêveurs. C’est le premier, infirmier dans la vie de tous les jours, qui est le moteur du récit. Il tient absolument à une grande demeure à l’architecture victorienne, dans le quartier jadis habité par les siens (Filmore District). La maison en question, il se (nous) convainc qu’elle a été bâtie par son grand-père.
Le second dessine, écrit et souhaite raconter au théâtre l’histoire des siens. Sa pièce, qui sera créée devant un public d’amis, porte d’ailleurs le titre de The Last Black Man in San Francisco. Sans être trop appuyée, la mise en abyme fait de Montgomery l’alter ego de Joe Talbot.
Il y a de l’authenticité dans les images de Talbot et dans le scénario qu’il a écrit avec Fails. Amis dans la vie (comme les deux personnages), ils ont grandi à San Francisco. La fiction, c’est un peu, sans doute, leur propre combat, leur propre rêve.
Le résultat à l’écran est parfois mièvre, comme un jeu d’enfants qui s’ennuient. Soutenu par une musique superficielle. Et une fin à faire pleurer.
Il y a pourtant çà et là de belles étincelles, y compris musicales, avec des (vrais ?) musiciens de rue. Et un propos qui les sous-tend. Les deux amis finissent par squatter la maison rêvée, sans la détruire, preuve que la ténacité est une qualité. Même en utopie, même au cinéma, la contestation sociale mérite d’être articulée.