Entre «Rocketman» et Almodóvar au Festival de Cannes

Pour la sixième fois en lice, mais jamais sacré: Pedro Almodóvar a monté les marches du Palais des festivals vendredi avec les acteurs de «Douleur et gloire», Penélope Cruz et Antonio Banderas, portrait très personnel et émouvant d’un cinéaste en crise.
Photo: Arthur Mola Associated Press Pour la sixième fois en lice, mais jamais sacré: Pedro Almodóvar a monté les marches du Palais des festivals vendredi avec les acteurs de «Douleur et gloire», Penélope Cruz et Antonio Banderas, portrait très personnel et émouvant d’un cinéaste en crise.

J’ai vu le très beau film de l’Espagnol Pedro Almodóvar, éternel candidat malheureux à la Palme d’or. Douleur et gloire est un peu le pendant du 8 1/2 de Fellini. Cette oeuvre de maturité et de grâce stylistique est portée par une émotion, une nostalgie, une souffrance.

Autobiographique ? En partie, surtout à travers les regrets, les peines, la dépression, le bilan humain et professionnel d’un artiste vieillissant. Les couleurs vives, les cadres parfaits du grand réalisateur vibrent ici à travers le portrait d’un cinéaste sur le retour, aux prises avec une santé déficiente, qui remonte en arrière. Antonio Banderas, vieux complice du maître espagnol, incarne son alter ego Salvador Mallo, avec une profondeur et une humanité bouleversantes. Il s’agit d’un film d’espoir qui ouvrira sur des lendemains possibles, après un long passage à vide, avec une sérénité nouvelle, née sur le lit de la souffrance.

Douleur et gloire aborde les déboires privés, la création et ses zones d’ombre, alors que cet homme solitaire dans son appartement madrilène luxueux rempli d’oeuvres d’art s’enferme, avant que des figures du passé ne resurgissent : un ancien acteur de ses films avec qui il se réconcilie, un amour de jeunesse un soir retrouvé. Ajoutez des flashbacks dans un petit village aux maisons troglodytes, où sa mère courage (Penélope Cruz, sublime) l’a élevé, et ce premier désir pour un beau voisin, dont le hasard veut qu’il retrouve la lettre 50 ans plus tard.

Cette enfance, sublimée sous le soleil, mène à ces échecs de vie dans l’entrelacs d’un scénario à la fois complexe et fluide. Et le va-et-vient entre lumière et pénombre dans cette mise en scène d’élégance et d’ellipses crée une sorte d’hypnose, sur un fil ténu, des chagrins mi-révélés, mi-cachés, portés par une pudeur nouvelle qui font voir ce film comme le plus maîtrisé d’Almodóvar.

Elton John, mythe vivant

 

Il n’y en avait que pour sir Elton John sur la Croisette. Non seulement l’excentrique chanteur et pianiste britannique est-il venu faire un vrai spectacle à sa montée des marches avant la présentation du biopic de Dexter Fletcher jeudi soir, dont il est sorti en larmes, sous les ovations, mais il a donné par la suite un miniconcert privé sur la plage du Carlton après la projection, entonnant aux côtés de l’acteur-chanteur Taron Egerton, qui joue son rôle dans le film.

Du cinéaste de Bohemian Rhapsody, on n’attendait pas un film de cinéphile, mais ce biopic est plus éclaté et ludique que celui sur Freddie Mercury. Rocketman émeut et amuse, sans renouveler le genre. Costumes théâtraux, décors à l’avenant, effets spéciaux, musique à gogo et kitsch en majesté : on est dans le cinéma spectacle, et les vrais abîmes intérieurs de cet artiste sont colmatés.

Le film nous fait remonter l’enfance du jeune prodige privé d’amour, ses cours de piano classique, puis la fulgurance de sa carrière, dès qu’il mit les pieds au club Menestrel de Los Angeles, bientôt lancé sur la scène internationale comme une bombe.

Drogues en tous genres, alcool à flot, surdose, amours homosexuelles décevantes, tentative de suicide et thérapie de groupe : ce sont aussi les décennies 1960, 1970 et 1980 rock et pop avec leurs excès, leurs sommets musicaux et leurs mirages qui renaissent dans le film. Taron Egerton, vu dans Kingsman, relève le défi d’incarner ce mythe vivant avec beaucoup de présence, et ses prestations sur scène impressionnent. Le reste de la distribution est plutôt quelconque, mais ce film rococo, sur lequel le studio Paramount s’offre, une fois n’est pas coutume, une scène d’amour homosexuelle explicite, cogne et résonne.

Drame végétal

 

Vu en compétition aussi, le remarquable et tout en retenue Little Joe del’Autrichienne Jessica Hausner. La cinéaste de Lourdes s’offre ici une incursion pleinement réussie dans le cinéma d’anticipation.

On y suit, chez des phytogénéticiens, le quotidien d’un laboratoire qui fait pousser une nouvelle plante dont les effluves sont censés apporter le bonheur aux humains, mais qui modifient leurs comportements. Au centre du film, la rousse scientifique Alice (Emily Beecham), qui met au monde ce Frankenstein végétal en déjouant les mesures de protection et en offrant cette fleur, surnommée Little Joe, à son propre fils Joe, qui la cajole à la maison. On est dans le monde de Cronenberg, à son meilleur, mais en plus délicat, plus féminin en somme.

La mise en scène est nourrie de plans magnifiques, secondés par des bruitages et une musique d’exception, des décors et des costumes pastel en contraste saisissant avec le drame en cours. Emily Beecham dans la peau de l’héroïne entre laboratoire et foyer se révèle d’une rigueur impeccable, et la direction d’acteurs est toujours juste. Excellente carte d’entrée pour une cinéaste en totale possession de ses moyens.

Odile Tremblay est l’invitée du Festival.



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