Chamboulements chez Téléfilm Canada: le milieu du cinéma serre les rangs

Trop de fonds ont été puisés dans l’enveloppe de Téléfilm consacrée au cinéma francophone pour la période 2019-2020 afin de boucler l’année 2018-2019.
Photo: Goddard Photography Getty Images Trop de fonds ont été puisés dans l’enveloppe de Téléfilm consacrée au cinéma francophone pour la période 2019-2020 afin de boucler l’année 2018-2019.

L’ensemble de l’industrie du cinéma québécois a fait savoir jeudi sa colère devant la décision de Téléfilm Canada de congédier trois de ses dirigeants. Des événements qui surviennent dans le contexte de problèmes de financement majeurs du volet francophone, dont le cru 2019-2020 est compromis.

En effet, trop de fonds ont été puisés dans cette enveloppe afin de boucler l’année 2018-2019. Dans une lettre commune adressée à Grant Machum, président intérimaire du conseil d’administration de Téléfilm, le milieu du cinéma québécois dénonce la décision de la nouvelle directrice générale de l’organisme fédéral, Christa Dickenson, de renvoyer trois de ses directeurs les plus expérimentés.

« En congédiant Michel Pradier et Roxane Girard, respectivement directeur du financement et des projets et directrice des relations d’affaires et de la coproduction, ainsi que Denis Pion, directeur de l’équipe information, performance et risque, qui combinent ensemble plus de 60 ans d’expérience au sein de l’institution, c’est non seulement la tête dirigeante de Téléfilm qui est décapitée, mais également sa mission et sa raison d’être qui sont mises en danger », affirment de concert l’Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son (AQTIS), l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), Québec Cinéma, le Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec (RDIFQ), le Regroupement des producteurs indépendants de cinéma du Québec (RPICQ), la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), la Table de concertation de l’industrie du cinéma et de la télévision de la Capitale-Nationale, et l’Union des artistes (UDA).

Téléfilm n’ayant fourni jusqu’ici aucune justification à ces congédiements, les signataires exigent des explications.

« Honteux et indigne »

Cette manoeuvre radicale survient moins d’un mois après que le ministre canadien du Patrimoine, Pablo Rodriguez, interpellé par des producteurs québécois, eut confirmé à La Presse s’inquiéter de ce que plusieurs productions voient leurs tournages imminents menacés, faute de subsides. Il avait toutefois, ce faisant, réitéré sa confiance à Christa Dickenson, nommée à la direction générale de Téléfilm à la fin du mois de juin dernier.

Photo: Tommaso Boddi Getty Images / Agence France-Presse Christa Dickenson

Or, pour les signataires de la lettre, il ne s’agit pas là du coup de barre espéré, tant s’en faut : « Depuis plusieurs années, les équipes d’opérations de Téléfilm ont travaillé sans relâche pour préserver un équilibre dans la production de langue française au Québec jusqu’à la crise que nous connaissons aujourd’hui, alors que Téléfilm voit sa capacité d’engagement pour l’année financière 2019-2020 réduite avant même qu’elle n’ait débuté. Si la direction de Téléfilm Canada tente de faire porter l’odieux de ce manque de financement à trois personnes de la direction, c’est honteux et indigne. »

Du même souffle, les représentants de l’industrie québécoise rappellent que l’ensemble des décisions prises au cours des dernières années obtint l’aval de la haute direction de Téléfilm. « Le conseil d’administration a pour sa part entériné ces actions en approuvant chaque année le rapport annuel et les états financiers », précisent-ils encore.

Dans sa chronique, ce jeudi, la collègue Odile Tremblay signalait le timing par ailleurs exécrable pour procéder à pareil remue-ménage. De fait, Michel Pradier et Roxane Girard étaient sur le point de s’envoler pour le Festival de Cannes, rendez-vous incontournable où se déroulent moult tractations et se concluent maintes ententes.

Plusieurs projets de coproductions démarrent au Festival international du film de Toronto, en septembre, après quoi un suivi a lieu au marché de la Berlinale, en janvier, avant que des ententes surviennent à Cannes, en mai, et à Venise, fin août. Un cycle gagnant à effectuer par celles et ceux-là mêmes qui sont à l’origine desdits projets.

Dans une missive envoyée mercredi, l’AQPM soulevait en outre des signaux contradictoires en provenance de Téléfilm tout en remettant en cause le bien-fondé des licenciements.

« Madame Christa Dickenson […] avait demandé au milieu de lui faire confiance afin de trouver des solutions au problème de financement des longs métrages de langue française. Elle a d’ailleurs annulé l’allocution aux producteurs venus l’entendre dans le cadre du dernier congrès de l’AQPM au cours de laquelle elle devait dévoiler les solutions qu’elle entendait mettre en place. Par sa décision de congédier ses principaux collaborateurs, estimés par les producteurs pour leur fine connaissance de l’industrie, leur professionnalisme et leur transparence, la directrice générale de Téléfilm Canada mine elle-même la confiance qu’elle souhaite développer avec le milieu. »

L’organisme réagit

Du côté de Téléfilm Canada, on a réagi en début de soirée jeudi. Par courriel, Grant Machum a déclaré : « Mme Dickenson a entamé son mandat chez Téléfilm Canada en rencontrant les membres de l’équipe de direction et tous les employés, ainsi que les multiples partenaires de l’industrie audiovisuelle canadienne afin de bien comprendre les enjeux de l’industrie. Elle a constaté le besoin d’entreprendre certains changements en vue de mieux répondre aux besoins actuels et prévisibles de l’industrie en cette ère de changements profonds. »

De conclure monsieur Machum : « Téléfilm Canada soutient l’industrie audiovisuelle canadienne depuis plus de 50 ans, et tous nos employés ont à coeur son succès et son rayonnement. Ainsi, les changements récents au sein du comité de direction n’ont pas compromis cette culture organisationnelle profondément ancrée et alimentée par la qualité des productions d’ici, en particulier celles en provenance du Québec. »

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