«La Quietud»: l’ennui discret de la bourgeoisie

Le décor : une villa sise au cœur d’un vaste domaine, en Argentine. Les personnages : Mia et Eugenia, sœurs trentenaires à la complicité trouble, et Esmeralda, leur mère septuagénaire à la bonne humeur forcée. L’argument : tandis que le père agonise et que les autorités rôdent avec divers mandats, les trois femmes dévoilent des secrets et en dissimulent d’autres, se repoussent et se retrouvent, Eugenia n’ayant pas remis les pieds au pays depuis de longues années. Ce descriptif théâtral n’est pas fortuit, le film La Quietud, du nom de la propriété où se déroule l’essentiel de l’action, affichant souvent une sensibilité scénique. Un titre, pour le compte, volontairement trompeur, car sous la surface paisible que projettent lieux et gens, des passions débridées couvent.
Habile, l’ouverture annonce d’office que quelque chose cloche avec cette famille nantie. On y est témoin de l’arrivée en voiture de Mia, avec campagne avoisinante déserte, puis on suit la jeune femme dans les dédales de la demeure dont on constate l’étendue, pour enfin s’arrêter avec elle devant une porte close d’où s’élèvent des voix fâchées. En émergent le père, Augusto, et la mère, Esmeralda, lui assurant à sa fille que tout va bien, elle la regardant à peine en les plantant là. Une maisonnée de richesse et de non-dits, en somme.
La suite atteste de l’affection indéfectible qui unit Mia à son père. Après que ce dernier se fut écroulé, Eugenia arrive de Paris, et on constate alors une dynamique similaire entre elle et sa mère. Or, malgré qu’elles soient chacune la favorite de l’un ou de l’autre parent, les deux sœurs sont plus que proches, comme l’établit l’une des premières scènes : elles sont fusionnelles à la limite de l’inceste, limite ayant peut-être été franchie autrefois, laisse-t-on entendre.
D’élégant à grotesque
Tout cela survient dès le commencement du film de Pablo Trapero, cinéaste qui, dans ses précédents longs métrages comme Leonera, sur une détenue tentant de récupérer l’enfant qu’a emmené sa mère, et El Clan, sur un père ayant entraîné son fils dans ses combines d’enlèvements en série, a fait montre d’une propension à filmer des cellules familiales aux dysfonctions délétères.
Dans La Quietud, aucun membre de la famille, conjoints et amants inclus, n’échappe à une certaine monstruosité, celle-ci nuancée a posteriori par le réalisateur et coscénariste au détour d’aveux-chocs qui, c’est l’une des failles de l’intrigue, ne choquent guère. En effet, élégant et allusif au premier acte, le film devient grotesque et démonstratif au second. Un développement précis, qui aurait fonctionné dans un opéra, mais s’avère parfaitement invraisemblable dans le contexte du film, marque ce point de rupture. Dès lors, à la curiosité succède l’ennui.
Efforts vains
En filigrane, on évoque les dictatures, les coups d’État, les années d’exil… Des éléments de dialogue suggèrent un patrimoine mal acquis. Malheureusement, ce filon prometteur n’est jamais réellement exploité, sinon pour servir de prétexte à une énième révélation à l’approche du dénouement. Une surenchère endémique, en témoigne, encore, l’épilogue jusqu’au-boutiste plaqué après la conclusion, qui parvenait pourtant à boucler bellement et simplement un récit empêtré dans ses sinuosités psychologiques.
C’est d’autant plus dommage que La Quietud bénéficie d’un authentique sens de la mise en scène et d’un trio de comédiennes excellentes. Graciela Borges, légende du cinéma argentin, est magnétique en matriarche qui suscite les sentiments les plus contradictoires. Bérénice Bejo est pour sa part fort convaincante dans le rôle d’Eugenia, fille prodigue cachant mieux sa part d’ombre que sa sœur Mia, celle-ci remarquablement interprétée par Martina Gusman. Efforts vains. Par moments, on a l’impression d’assister à un pastiche involontaire de Chabrol, qui n’avait pas son pareil pour ausculter splendeurs, misères et turpitudes de la bourgeoisie. Une chose est sûre, son ami Buñuel n’aurait pas trouvé grand charme à celles de ce film-ci.