«Grâce à Dieu»: la fin du silence

L’histoire au cœur du film Grâce à Dieu est terrible. À travers le récit véridique des victimes d’un prêtre pédophile, on est mis devant ce que l’humanité a de plus hideux, mais on est aussi témoin de ce qu’elle a de plus noble. À savoir la force de résilience de ces enfants devenus grands. D’une retenue exemplaire, Grâce à Dieu fait œuvre utile, œuvre émouvante et, oui, œuvre de cinéma. Car tant à l’écriture qu’à la mise en scène, c’est François Ozon qui veille au grain. Cela, avec une empathie qu’on ne lui connaissait pas.
Non qu’on doutait de la sensibilité du cinéaste, mais les cinéphiles rompus à sa filmographie savent combien les titres qui la composent sont souvent empreints d’ironie, d’humour noir et, oui, d’une certaine froideur. Des univers volontiers oniriques ou kitsch exacerbent celle-ci.
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François Ozon: le silence du bergerD’ailleurs, cette dernière caractéristique étant depuis longtemps associée au « style Ozon », son absence ici pourra initialement engendrer un malentendu selon lequel Grâce à Dieu, film austère, serait moins recherché sur le plan cinématographique.
Il n’en est rien.
L’intrigue revient ainsi sur ce qui est appelé en France « l’affaire Barbarin », un énième scandale de pédophilie ayant éclaboussé l’Église catholique. On y suit les parcours distincts, puis unis, de trois hommes : Alexandre (Melvil Poupaud), François (Denis Ménochet) et Emmanuel (Swann Arlaud).
Lorsqu’ils étaient enfants de chœur ou scouts, chacun à son époque, Alexandre, François et Emmanuel furent agressés à répétition par le père Bernard Preynat (Bernard Verley), figure charismatique du diocèse de Lyon.
Voir Grâce à Dieu ou pas ?
En trois tons
On épouse d’abord la perspective d’Alexandre. Demeuré très croyant, Alexandre, heureux en mariage auprès de Marie (Aurélia Petit), avec qui il a eu cinq enfants, est troublé en apprenant toutes ces années après les événements que le père Preynat est toujours en contact avec des enfants. S’entame alors une importante correspondance avec le cardinal Barbarin (François Marthouret) et avec une bénévole de l’archevêché, Régine Maire (Martine Erhel).
Ici, non seulement le cinéaste ne cherche pas à atténuer cette dimension épistolaire, mais il l’embrasse pleinement, avec force voix hors champs. Dans ce qui est la première de trois parties, Ozon s’attarde en outre à la notion de rituel : ceux, familiaux et chaleureux, qui ont cours dans le quotidien d’Alexandre, et ceux, liturgiques et empesés, qui se déploient lors de messes ou de rencontres officielles. Une certaine solennité, conforme à la nature du personnage, prévaut : plans longs, mesurés, et cette lumière qui vient d’en haut, discrètement…
À l’inverse, l’arrivée de François, sur qui se concentre la seconde partie, s’accompagne d’un rythme plus rapide, synchrone avec l’enquête en cours, mais surtout avec le tempérament impulsif du personnage qui, avec l’aide d’une autre victime (Éric Caravaca), fonde un site : La parole libérée. Leur but ? Donner une tribune à d’autres hommes ayant subi des sévices aux mains de Preynat en leur faisant savoir qu’ils ne sont pas seuls.
Le montage expert de Laure Gardette, collaboratrice assidue du réalisateur, multiplie les coupes de manière progressive afin de ne pas trancher trop violemment avec ce qui a précédé.
Avec Emmanuel enfin, on touche davantage au drame social pur. Aux prises avec différents démons, incapable de conserver un boulot et empêtré dans une relation toxique, Emmanuel peut compter vaille que vaille sur sa mère Irène (Josiane Balasko).
Sur le plan dramatique, Emmanuel constitue un peu la somme des deux autres personnages, Alexandre représentant la réflexion et François, l’action.
Une mécanique du silence
À tour de rôle, on revient en arrière avec eux, brièvement, le temps de comprendre les circonstances des crimes du père Preynat. Rien n’est montré. Avec un tact infini, Ozon évoque ce qui s’est passé juste avant, puis laisse le spectateur imaginer ce qui s’est produit juste après.
Au gré des développements, le scénario révèle les nombreux mécanismes permettant au silence de prévaloir : la hiérarchie de l’Église qui protège ses prêtres pédophiles, l’implication économique du clergé dans les communautés, des parents croyants dans le déni ou mal outillés pour accompagner leur enfant…
Jamais lourde, la démonstration est éclairante. Quant aux interprètes, ils sont remarquables de justesse, de vérité. En cela, distribution et cinéaste s’avèrent parfaitement en phase. Lui qui sait pourtant y mettre l’effet quand il le désire, François Ozon maintient tout du long une approche respectueuse et sobre. Grâce à Dieu n’en est que plus bouleversant.