«Une femme en guerre»: la Jeanne d’Arc islandaise

De quoi sont faits les militants purs et durs ? Certains les imaginent entièrement voués à leur cause, observant le monde sous le prisme de leurs luttes, sacrifiant tout pour une victoire hypothétique. Plusieurs de ces chevaliers devront remercier le cinéaste islandais Benedikt Erlingsson (Of Horses and Men) pour Une femme en guerre, magnifique portrait d’une écologiste déterminée, courageuse, le tout sous des dehors de femme respirant la bonté, la quiétude et la joie de vivre.
Celle qui pratique le taï-chi dans son salon devant des affiches de Gandhi et de Nelson Mandela, dirige avec grâce un choeur de voix divines et se promène tout sourire à vélo sous le ciel gris de Reykjavik ne s’oppose pas à celle qui n’a rien à envier à Wonder Woman. Car avec son arc et ses flèches, un souffle exceptionnel pour la course à obstacles et une capacité étonnante à se camoufler, Halla (Halldóra Geirharðsdóttir), dans la belle cinquantaine, sait déjouer les autorités pour saboter les pylônes électriques du pays. Pour ses coups d’éclat destinés à secouer un gouvernement qui s’apprête à bazarder ses paysages et son indépendance pour plaire aux multinationales (air connu, n’est-ce pas ?), quelques personnes dignes de confiance sont de mèche avec elle, dont une au sein même de l’État.
De ce nombre est exclue sa soeur jumelle Asa (jouée aussi par Halldóra Geirharðsdóttir), professeure de yoga, déterminée à s’installer dans un ashram en Inde pendant deux ans. Une nouvelle qui déconcerte Halla, venant tout juste d’apprendre qu’après des années d’attente, elle pourra adopter une fillette originaire d’Ukraine. Comment alors maintenir son image de citoyenneexemplaire, poursuivre son combatpérilleux et garder tout cela secret ? Au milieu des grands espaces islandais, elle qui s’y fond avec une agilité étonnante, la militante devra alors, une fois de plus, tenter l’impossible.
Rien ne serait plus simple que de résumer Une femme en guerre comme une déclinaison islandaise de David contre Goliath. Or, même la conclusion de cette formidable cavalcade écologique pleine de fantaisies esthétiques déjoue les attentes, et sur une note mélancolique. Dans une approche humoristique rappelant parfois celle du Finlandais Aki Kaurismäki, avec personnages déjantés à la tronche inimitable, dont les musiciens tapissant la bande sonore. Il s’agit d’un trio détonnant avec, jamais très loin, des chanteuses d’origine ukrainienne accompagnant bellement les tribulations de Halla, invisibles à tous les protagonistes, charmants à chaque apparition.
Au-delà de sa performance purement athlétique, peu importe qu’elle se cache dans la tourbe, au milieu des moutons ou dans les sources géothermales comme pour renaître à elle-même, Halldóra Geirharðsdóttir apporte un authentique supplément d’âme à cette héroïne déchirée entre une mission qui la dépasse et un ardent désir de maternité. Ceci en fait une figure éminemment sympathique, et son interprète en épouse toutes les nuances. Dans Une femme en guerre, l’ingéniosité triomphe également à l’écran, car les beautés naturelles de ce pays singulier n’éclipsent jamais la volonté farouche de Benedikt Erlingsson d’aller au-delà des clichés touristiques. Mais les militants les plus fougueux y verront peut-être aussi une prochaine destination vacances.