«Un amour impossible»: dans la lumière d’une femme bafouée

À la fois français et québécois, Niels Schneider, lancé sur la scène internationale en 2010 à travers Les amours imaginaires de Xavier Dolan, s’est taillé une solide réputation dans l’Hexagone, où il n’arrête pas de tourner pour le grand et le petit écran, au théâtre aussi.
Pas question pour lui de se raconter d’histoires pour autant : « Ils m’ont adopté, c’est vrai, mais ensuite c’est fragile, dit-il. Je ne crois pas à la grande famille du cinéma français… »
Il demeure vigilant, la tête froide, heureux de jouer dans des registres différents. Au départ, sa blondeur et son physique d’éphèbe l’avaient quelque peu cantonné dans des rôles de jeune premier. Avec le temps, l’éventail des rôles s’est élargi.
Voici le césarisé de Diamant noir en triste sire, les cheveux noircis dans Un amour impossible de Catherine Corsini, auprès de Virginie Efira, en salle ici le 5 avril. « Comment faire plus monstrueux que mon personnage ? demande-t-il. Il est psychopathe et dit des choses perverses dures à entendre. »
Ce film, nommé quatre fois aux derniers César, adapté librement du roman de Christine Angot, traite avec pudeur de la relation passionnelle et toxique de Rachel, une jeune femme d’un milieu populaire (la lumineuse Virginie Efira) avec Philippe, bourgeois plein de charisme et de fiel (Schneider) qui l’éblouit et l’humilie dans une France tissée d’inégalités sociales.
L’action se déroule à Châteauroux, des années 1950 jusqu’à nos jours, avec paternité mal assumée et finalement atroce créant un virage de ton en dernière partie. Un amour impossible aborde frontalement l’amour-haine mère-fille à travers le personnage plus moderne de Chantal (Jehnny Beth), qui imposera sa révolte.
La France des classes sociales
Catherine Corsini affirme avoir cherché à éviter les pièges de la pesante production d’époque, captant le passage du temps de l’arrivée de la télévision jusqu’à celle de l’Internet à travers les barrières sociales à secouer, le long combat d’une femme pour s’élever et faire reconnaître sa fille par son égoïste géniteur.
« Virginie Efira possède une autorité naturelle et une profondeur dans un rôle où elle dépasse son statut de victime en n’étant jamais idiote, en faisant le deuil de son histoire d’amour tout en parvenant à une ascension sociale. La chimie entre nous s’est établie d’entrée de jeu », précise Niels Schneider. Elle est devenue sa compagne de vie sur le plateau : « Il s’est produit quelque chose de rare. »
« C’est un film sur les classes sociales », tranche Catherine Corsini. La cinéaste de La nouvelle Ève et de Trois mondes s’est toujours engagée pour la cause des femmes.

Quand sa productrice lui a proposé d’adapter le roman d’Angot, elle fut frappée par leurs affinités de parcours : « J’avais envie de faire un film sur ma mère. J’ai l’âge de la romancière, je viens aussi d’une classe moyenne. Elle décrivait la génération de ma mère et de mes tantes avec cette obligation de se marier, de se mettre sous la coupe masculine. Cette histoire d’amour fut le destin de bien de femmes : se lier à un homme à la fois charmant et odieux, pervers narcissique qui joue avec la candeur de sa compagne mais lui enseigne des choses. Leur relation paraît à cette femme d’abord enchanteresse. C’est un truc générationnel. Elle choisit le méchant. »
La cinéaste n’avait pas pensé à Virginie Efira pour le rôle principal. Catherine Corsini a pu apprécier son intelligence et sa générosité, avant même de l’auditionner, après qu’elles furent invitées toutes deux à une émission de radio.« Elle m’avait fait savoir qu’elle désirait ce rôle qui la fait passer de 27 à 65 ans. Niels Scheider est apparu plus tard dans le paysage. Venu faire des essais, il était génial, avec cette morgue… On a beaucoup travaillé sur la noirceur, l’amour propre. Quant au personnage de Virginie Efira, il subit tout en possédant une force. À certains endroits, elle se protège. Rachel me faisait penser à une de mes tantes qui avait peu de considération pour elle-même ainsi qu’à toutes ces femmes incapables de se défendre contre le sentiment d’injustice. »
Ces entretiens ont été effectués à Paris aux Rendez-vous d’Unifrance.