«Le don»: cadeau de la liberté

Une œuvre participative de Lee Mingwei, présentée dans un musée, propose à des chanteurs d’offrir une chanson en cadeau à un visiteur.
Photo: Cinéma politica Une œuvre participative de Lee Mingwei, présentée dans un musée, propose à des chanteurs d’offrir une chanson en cadeau à un visiteur.

C’est une économie parallèle, où ne circulent ni argent comptant, ni chèques, ni virements bancaires. Un système où l’on donne et reçoit, sans espérer rien en retour. Dans son très beau film Le don, Robin McKenna explore le concept de don à travers différentes expériences, de celle d’un potlatch autochtone en Colombie-Britannique au squat d’un immeuble transformé en musée à Rome, en passant par les œuvres participatives de l’artiste Lee Mingwei ou l’événement Burning Man dans le désert de Black Rock, au Nevada.

Ce que la caméra capte ici, c’est le temps ou les biens donnés sans compter. C’est le temps des artistes qui mettent des semaines à réaliser des œuvres éphémères, dont il ne restera ensuite plus de traces, ou le temps partagé pour offrir des services, de gardiennage ou de scolarisation par exemple, dans une communauté marginalisée de Rome.

L’exemple du potlatch pratiqué par des Autochtones de la Colombie-Britannique est particulièrement probant. Il s’agit d’une pratique ancestrale, longtemps bannie par les colonisateurs canadiens, qui refait surface aujourd’hui dans une communauté autochtone de la Colombie-Britannique. « Plus tu peux donner, plus tu peux être un grand chef », dit un Autochtone interrogé dans le film. Durant des années, les membres de la communauté mettent des biens de côté pour faire de gros dons au moment du potlatch. Des gens des communautés environnantes sont invités, mais on ne sait jamais combien viendront au jour dit. « Les Haïdas apportent des œufs de hareng, les gens de Gilford apportent des palourdes », explique le jeune chef qui organise l’événement. La cinéaste dit s’être inspirée d’un livre de Lewis Hyde, Creativity and the Artist in the Modern World, dans la réalisation de son film.

Prendre pour redonner

 

L’œuvre de Lee Mingwei, également introduite dans le film, est elle aussi singulière. L’exposition Le jardin en mouvement invite le public à prendre une fleur, à condition d’aller l’offrir à un inconnu. Une autre œuvre participative, présentée dans un musée, propose à des chanteurs d’offrir une chanson en cadeau à un visiteur. À Rome, la réflexion prend une tournure plus politique. On entre dans Metropoliz, un musée habité, installé dans une ancienne usine de salami, occupé par des familles qui n’« ont pas d’autre endroit où dormir ». Sur les murs de cette usine désaffectée, les artistes ont peint « une seconde peau », qui protège les squatteurs, qui ne sont par ailleurs jamais à l’abri d’une intervention policière. Alors que Rome compte un fort pourcentage de logements inoccupés, apprend-on, certaines familles sont incapables de payer un loyer.

Le tout est sous-tendu par une réflexion sur la valeur de l’art. Mus par le besoin de créer, les artistes sont habités par des interrogations sur la valeur de ce qu’ils font. « L’argent, ça brûle vite, c’est ce qui a le moins de valeur », dit le chef autochtone qui organise le potlatch, alors que s’entassent autour de lui, en vue de l’événement, des sacs de farine qui valent des milliers de dollars. Le don présente une rare occasion d’échapper, le temps d’un documentaire, à l’implacable logique marchande des temps modernes et d’y reprendre un peu de liberté humaine.

Le don

★★★★

Documentaire de Robin McKenna. Canada, 2018, 90 minutes.

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