«Amoureux de ma femme»: flasque le navet

Il est des films que l’on commence à regarder sans attente particulière, mais qui, au bout de quelques minutes, provoquent une étrange réaction physiologique. Sans que l’on s’en rende compte tout de suite, la bouche s’entrouvre en une expression de plus en plus ébahie. D’une bêtise à s’en décrocher la mâchoire, Amoureux de ma femme est un tel film. L’acteur Daniel Auteuil a réalisé, si l’on peut dire, cette farce matrimoniale ringarde, et s’il est un souhait que l’on peut formuler à l’issue du visionnement, c’est qu’il s’en tienne à son premier métier dorénavant.
Certes, la formule est éculée dès lors qu’un comédien se plante en voulant mettre en scène. Seulement voilà, devant pareil ratage, on ne se sent guère inspiré (ou charitable).
L’action se déroule à Paris, côté nantis, en témoigne l’appartement immense, tout pierre tout bois, que partagent Daniel (Daniel Auteuil) et Isabelle (Sandrine Kiberlain). Ce samedi soir là, le couple reçoit Patrick (Gérard Depardieu) et Emma (Adriana Ugarte). Un ami de longue date, Patrick a récemment plaqué Laurence, conjointe des vingt dernières années et meilleure amie d’Isabelle, pour Emma. Belle et jeune Emma que Daniel n’a pas sitôt vue qu’il en est d’ores et déjà follement épris.
Campée entièrement ou presque au cours dudit souper, l’intrigue est relatée du point de vue de ce dernier et consiste en une suite de projections mentales, Daniel se prenant à imaginer un futur auprès d’Emma.
Dénué de grâce
Le concept n’est en soit pas mauvais. On pense entre autres à Une Anglaise romantique (The Romantic Englishwoman), de Joseph Losey, où Michael Caine interprète un écrivain qui planche sur un roman inspiré par la possible liaison entre son épouse (Glenda Jackson) et un gigolo (Helmut Berger), entre fiction, métafiction et structure gigogne.
Amoureux de ma femme relève au contraire d’une construction rudimentaire, quoique les envolées fantasmatiques soient insérées sans grâce aucune. Mais comme la réalisation n’en affiche pas davantage, on pourra y voir une forme d’unité, si involontaire soit-elle, dans la gaucherie.
Le plus curieux est qu’en théorie, le rythme devrait être échevelé. Or, en pratique, les séquences s’étirent pour culminer, en règle générale, par un gag qui tombe à plat. Les origines théâtrales sont apparentes dans chaque déplacement : les personnages entrent et sortent précipitamment des différentes pièces, se balancent des répliques insipides, se crient dessus sans être entendus des autres convives (c’est qu’il est spacieux, cet appartement). On est en présence du genre de film où les comédiens, privés d’une quelconque direction d’acteurs, surjouent de façon éhontée, confondant volontiers surenchère et effet comique.
Misogynie ordinaire
Ah, elle est loin l’époque où l’on s’émouvait au spectacle de Daniel Auteuil et de Gérard Depardieu partageant l’écran dans Jean de Florette. Ici, Auteuil est plein de tics et Depardieu, indifférent. Quant à l’excellente Sandrine Kiberlain, elle paraît chercher ses repères en épouse tour à tour harpie castratrice et manipulatrice passive-agressive. Adriana Ugarte n’est pas mieux servie, confinée à une partition-objet. Elle en est ainsi réduite à n’être qu’un corps dans une robe moulante rouge, une minijupe de cuir noir, un deux-pièces, ou évidemment nue, selon la teneur des rêveries de Daniel. Que l’on se rassure : Depardieu reste habillé.
Les personnages, surtout féminins mais masculins également, se résument à des archétypes d’un autre temps. Déployée sans vergogne, la misogynie ordinaire de cette production clinquante est à hurler. C’est à la mode de le dénoncer, rouspéteront certains avant d’avoir vu le film, mais lorsque c’est si patent, impossible de ne pas le signaler.
Après s’être refermé la bouche, on sera avisé de se boucher le nez, car c’est là un navet, et pas de la première fraîcheur.