«Malek»: subtile étrangeté

Malek est arrivé au Québec depuis une période indéterminée. Il a quitté le Liban, laissant là-bas un passé traumatique. Mais voilà, il est des événements qui refusent qu’on les oublie. Trop accablé par ceux-ci, on se retrouve un jour pendu, l’esprit confus et la vie qui ne tient plus qu’au toron d’une corde par chance usée. C’est le sort que vient de connaître Malek lorsqu’on le rencontre. Forcé de voir une psychiatre après cette tentative de suicide, le jeune homme en viendra, d’un rendez-vous à l’autre, à affronter ce qu’il a tant cherché à fuir. Cela, alors qu’il s’éprend de Shohreh, une immigrante iranienne elle-même prisonnière d’un drame en suspens auquel Malek sera bientôt mêlé.
Tiré du roman Le cafard, de Rawi Hage, Malek propose le genre de voyages introspectifs dont le cinéaste Guy Édoin a le secret. Ainsi, après ce gamin parricide dans Marécages, puis cette actrice célèbre et cette infirmière unies par l’absence d’un fils dans Ville-Marie, le voici qui s’attarde à cet immigrant hanté par le souvenir trouble d’une soeur dont on ne sait trop ce qu’il est advenu.
Avec adresse, le cinéaste et son monteur, Yvann Thibaudeau (Borderline, 1991), font surgir le passé dans le présent, la moiteur du Liban se substituant à l’hiver montréalais. Fluides, les passages de l’un à l’autre surviennent à la faveur de jeux de correspondances visuelles qui gardent l’oeil captif, et ce, même lorsque certaines circonvolutions narratives faillissent à convaincre (Malek est le premier film qu’Édoin réalise sans l’avoir initié).
En gros plan
Mal en point sous des dehors trop machos pour berner Geneviève, sa psychiatre gentiment obstinée, Malek est, peut-être plus encore qu’au moment d’attenter à ses jours, sur la brèche. Avalant ses cachets d’antidépresseurs selon son bon vouloir, il boit, fume et sniffe, préférant courtiser la mort plutôt que de faire face à ses démons.
Alternent les temporalités, donc, mais aussi les niveaux de conscience, tandis qu’en proie à des épisodes hallucinatoires, Malek reçoit chez lui, ponctuellement, la visite d’une version fantasmée de sa psychiatre. Fruit d’une réalisation judicieusement sobre, ces séquences possèdent une étrangeté subtile. Elles offrent en outre un contrepoint habile aux séances « réelles » auxquelles on assiste, dans le bureau de Geneviève.
Techniquement, ces deux volets reposent, encore, sur un travail visuel tout en économie (échelle de plans déclinée de manière aussi simple que redoutable). D’ailleurs, Guy Édoin ne craint pas d’aller au plus près des visages de ses interprètes.
Ceux-ci, éclairés il est vrai par l’as directeur photo Michel La Veaux (Le démantèlement, La disparition des lucioles), deviennent dès lors un prolongement organique de sa mise en scène.
Un bel ajout
À cet égard, l’acteur français Tewfik Jallab, présent de bout en bout dans le rôle-titre, est complètement crédible. Il parvient à faire passer les tourments intérieurs de Malek au moyen d’un jeu, paradoxalement, très physique. Dans le rôle de Shohreh, la comédienne espagnole Hiba Abouk convainc également, quoique sa partition à elle paraît curieusement sous-écrite malgré un temps d’écran et un texte plus copieux que ceux impartis à la psychiatre, défendue par Karine Vanasse.
Chargée de composer non pas un, mais deux personnages légèrement différents, l’actrice québécoise affiche pour sa part, d’un côté, une retenue intrigante et, de l’autre, une suggestivité fascinante.
À terme, si Malek n’envoûte pas comme le tordu Marécages ni n’impressionne comme le baroque Ville-Marie, le film n’en constitue pas moins un bel ajout à la filmographie merveilleusement vénéneuse de Guy Édoin. Saisissant mais d’une cohérence parfaite quant à l’arc dramatique du protagoniste, le dénouement est par surcroît assuré de faire jaser.