Le dernier «Mary Poppins» ne décolle pas

À ce jour, le film Mary Poppins, sorti en 1964, reste l’un des plus aimés du catalogue Disney. Ce fut également, en son temps, l’un des plus rentables du studio, feu Walt Disney ayant utilisé les profits d’alors pour acheter les terres sur lesquelles il érigea plus tard son lucratif parc d’attractions Walt Disney World. Sachant qu’Hollywood n’aime rien autant que les suites, ce qui étonne, ce n’est pas qu’on propose une nouvelle aventure de la célèbre nounou anglaise après plus d’un demi-siècle, mais bien qu’on ne l’ait pas fait avant. Très attendu, c’est peu dire, Le retour de Mary Poppins prend l’affiche le 19 décembre. L’embargo critique étant levé, voici déjà ce qu’on en a pensé.
Campée en 1930, soit vingt ans après les événements du premier opus, l’action démarre de la même manière qu’autrefois, à la différence que ce n’est plus un ramoneur qui se la joue narrateur chantant, mais un allumeur de réverbères. Revoilà donc les cossues maisons en rangée de Cherry Tree Lane, dont celle de la famille Banks. Naguère des enfants turbulents pris sous l’aile bienveillante de Mary Poppins, Michael et Jane sont devenus des adultes équilibrés convaincus que leurs péripéties fantaisistes d’antan ne sont jamais réellement arrivées.
Militante pour les droits des travailleurs, Jane (Emily Mortimer) vit à l’autre bout de Londres, mais visite régulièrement la demeure familiale qu’occupe à présent Micheal (Ben Whishaw) et ses trois enfants (Pixie Davies, Nathanael Saleh et Joel Dawson). Veuf depuis un an, Michael croule sous les dettes, et ce, en dépit de ce qu’il travaille pour la même banque que son père jadis.
Et Mary Poppins de voler — littéralement — à la rescousse.
Du neuf avec du vieux
Largement calqué sur son prédécesseur dans ce qui constitue un enchaînement d’épisodes où musique et merveilleux se côtoient, Le retour de Mary Poppins (Mary Poppins Returns) n’offre pas tant des nouveaux personnages que des variations des modèles originaux, avec fonction narrative identique.
Par exemple, Michael est initialement réfractaire à l’approche de Mary Poppins et s’emporte contre ses enfants tout en demeurant au fond aimant, comme monsieur Banks dans le premier film. Jane, pour sa part, a beau s’être vue impartie un formidable potentiel professionnel, son personnage s’avère aussi sous-utilisé que l’était madame Banks, une suffragette pour mémoire. Les enfants, quant à eux, ne sont plus immatures en réaction à la rigidité paternelle, mais trop matures, en contraste désormais avec le désarroi de papa. Bref, ces changements dans la continuité ou l’inversion sont surtout d’ordre cosmétique.
Un choix, on le présume, relevant de la prudence de la part de Disney dans la mesure où il est question ici de reprendre une recette qui a fait ses preuves en la transformant le moins possible, au risque de la rater. C’est pourtant ce qui survient.
En surface, Le retour de Mary Poppins est soigneusement calibré pour reproduire l’esthétique surannée tant des décors construits en studio que des passages alliant animation et prises de vue réelles de l’original. Alors quoi ?
Alors la magie n’y est pas, tout simplement.
Scénario mince
Malgré l’opulence des moyens (un budget de 130 millions de dollars américains contre celui, ajusté, d’environ 40 millions pour l’original), on n’est guère transporté. Cette impression d’un produit fabriqué et soupesé en comité, sans doute…
Spécialiste désigné du genre, Rob Marshall, derrière Chicago, Dans les bois (Into the Woods) et l’imbuvable Geisha (Memoirs of a Geisha), insuffle une ampleur appréciable au mouvement d’ensemble sans toutefois parvenir à rendre le tout cohésif.
La minceur du scénario n’aide pas. Entre Mary Poppins qui stimule l’imagination de ses jeunes charges et le père qui cherche un élusif (pas pour le spectateur, hélas) certificat bancaire qui les sauverait de l’expulsion, l’intrigue étire sa minceur jusqu’au dénouement attendu.
Certains aspects apparaissent en outre incongrus, comme cette capacité — inexpliquée — qu’a le méchant banquier (Colin Firth) à contrôler l’action lors d’un des volets animés, ceux-ci toujours engendrés par Mary Poppins et ses pouvoirs magiques. D’autres séquences se révèlent beaucoup trop longues, telle cette participation d’une Meryl Streep grimée et partante, et qui fait ce qu’elle peut avec l’une des chansons les plus insipides du livret inégal signé Marc Shaiman et Scott Wittman ; pénible.
Le principal atout du film, et il est de taille, tient à l’interprétation absolument délicieuse d’Emily Blunt. La vedette de Sicario compose une Mary Poppins plus acidulée et à maints égards plus intéressante que celle de Julie Andrews. Qu’en est-il de ses prouesses vocales ? Blunt se tire fort bien d’affaire, tout modeste soit son instrument comparé à celui d’Andrews.
Pour ce qui est des partenaires de la vedette, la qualité varie. Lin-Manuel Miranda est formidable dans le rôle de Jack, le livreur-narrateur, et les trois gamins sont mignons et crédibles à souhait. Actrice éminemment douée, Emily Mortimer, on s’en désolait d’office, n’a en revanche que peu l’occasion de briller. Idem pour Julie Walters en cuisinière aux abois.
Et il y a Ben Whishaw, qui joue le père désemparé avec une lourdeur dramatique comme sortie d’un autre film.
Quoi qu’il en soit, les projections sont formelles : Le retour de Mary Poppins est d’ores et déjà assuré de caracoler au box-office. Gageons qu’il ne faudra pas attendre des décennies avant la prochaine suite.