«L'état sauvage», un western féministe signé David Perrault

L’inspiration est chose mystérieuse. En la matière, le cinéma ne fait pas exception. Prenez L’état sauvage, ce nouveau film dont le cinéaste français David Perrault vient de terminer le tournage à Harrington, dans les Laurentides. De l’aveu même du principal intéressé, l’aventure — et aventure il y eut — débuta par une intuition. Celle d’un groupe de femmes qui s’affranchirait de la férule patriarcale et créerait autre chose : « une utopie féminine », dixit David Perrault, joint à Paris, où il a amorcé le montage d’une coproduction aussi intrigante qu’ambitieuse.
« Je voulais montrer ces femmes d’abord enfermées, puis lâchées dans une sorte d’état sauvage, d’où le titre », explique David Perrault, qui a imaginé les pérégrinations d’une famille de colons français ayant fui le Missouri déchiré par la Guerre de Sécession, et espérant regagner Paris.
La maison de production Metafilms est le partenaire québécois du projet, à 15 %. La société MK2 - Mile-End en est le distributeur canadien. Le budget s’élève à 5,5 millions de dollars.
On suit ainsi Madeleine, la mère (Constance Dollé), Edmond, le père (Bruno Todeschini), leur aînée, Justine (Déborah François), leur benjamine, Abigaëlle (Maryne Bertieaux), et surtout, leur cadette, Esther (Alice Isaaz), dont l’attirance pour un convoyeur au passé trouble (Kevin Janssens) mettra à mal le devenir du clan. En effet, l’homme est poursuivi par une ancienne flamme chef de gang (Kate Moran).
« J’ai songé à cette époque entre autres parce que les femmes portaient encore des corsets et n’avaient pas ou peu de pouvoir. J’ai voulu les confronter à ce périple comme à un récit d’apprentissage au cours duquel elles se libèrent de toute cette société patriarcale. »
Dedans puis dehors
La première moitié consiste en un huis clos campé dans une maison victorienne où les personnages féminins sont confinés.
« Il s’ensuit une rupture où on est projeté dans les grands espaces, avec ce voyage en contrées non identifiées, poursuit David Perrault. On a filmé dans les Pyrénées, en France, et en Espagne aussi, dans le désert des Bardenas, puis au Québec. »
On mentionnait d’office « l’aventure » que fut le tournage : on citera en guise d’exemples ces pluies torrentielles qui s’abattirent sur les Bardenas alors qu’on annonçait du temps sec, puis ces scènes extérieures qu’on dû tourner ici par moins 37 °C lors de la vague de froid du mois de novembre.
« Mettre en scène, c’est rebondir face aux difficultés. L’ironie, c’est que ces imprévus ont servi le film, car il en a résulté des images spectaculaires. Cette neige… »
Pour le compte, ce deuxième long métrage de David Perrault ne saurait être plus différent de son premier, Nos héros sont morts ce soir, présenté à la Semaine de la critique, à Cannes, en 2013. L’auteur y relatait le parcours d’un catcheur [ces lutteurs affublés de masques lors de combats arrangés] avec force excentricité et, cela va de soi, un fond de testostérone.
C’est dire qu’à un mâle blessé succède une chorale de femmes résilientes.
« C’est Truffaut, je crois, qui affirmait toujours faire un film “contre” le précédent. Ça s’applique certainement. Mon premier film était aussi un film d’atmosphère, peu narratif. Celui-ci est au contraire très narratif, très romanesque. »
Western revisité
Le même Truffaut confia aussi « faire des films pour réaliser ses rêves d’adolescents ». Là encore, David Perrault le rejoint, en cela qu’avec L’état sauvage, il aborde un de ses genres fétiches : le western.
Or, plutôt que de simplement en reprendre les archétypes masculins établis en accolant sur ceux-ci des interprètes féminines, le cinéaste a préféré laisser ces dernières développer de nouveaux modèles. À cet égard, les actrices ont énormément apporté à leurs rôles respectifs.
L’idée était de faire un film historique où il y aurait une prise de pouvoir par les femmes
« Je suis très attentif au casting, parce que, selon moi, la direction d’acteurs, elle se fait essentiellement lors de la distribution : donner le bon rôle à la bonne personne, c’est la clé. Sur ce film, j’ai choisi des sensibilités très différentes : des tempéraments d’actrices très distincts. Ce qui s’est ensuite produit, c’est qu’au tournage, elles ont vite formé un groupe très solidaire, presque une entité en soi, qui non seulement fonctionnait, mais m’échappait. »
Plutôt que d’être gagné par l’insécurité face à cette solidarisation des comédiennes, David Perrault s’en réjouit, à des lieues du cliché du réalisateur control freak craignant l’émasculation.
« Les interprètes, j’essaie de leur laisser un espace de liberté aussi vaste que possible. Le “contrôle” que j’exerce est davantage d’ordre visuel : mon film, il est dans ma tête. Ce qui veut dire que, pour chaque scène, j’élabore un découpage assez précis, mais lorsque j’arrive sur le plateau pour la mise en place, je n’essaie pas de plaquer ça sur les interprètes. Je tâche au contraire de voir ce qu’eux ont à offrir, afin que ce soit vivant. »
Un idéal
Depuis ce fugace moment d’inspiration évoqué d’entrée de jeu, cinq années se sont écoulées, d’écriture en recherche de producteurs en quête de fonds. Si L’état sauvage a évolué dans l’intervalle, la vision de David Perrault, elle, n’a fait que se préciser.
« L’idée était de faire un film historique où il y aurait une prise de pouvoir par les femmes, résume-t-il. C’était un pressentiment que j’avais, quand j’ai écrit le film en 2013 : que l’on vivait encore dans une société très patriarcale, mais qu’il y allait forcément avoir un renversement. Ou qu’à tout le moins, les choses se rééquilibreraient. »
Lorsqu’on lui fait remarquer que, hélas, la montée des factions d’extrême droite un peu partout sur la planète, avec ce que cela présuppose d’ultra-conservatisme, tend plutôt à pointer dans l’autre direction, David Perrault se fait philosophe.
« Le cinéma, c’est un rêve, réitère-t-il. Un idéal. Mon film n’est pas politique, mais il essaie d’imprimer des images dans les esprits, et de peut-être changer le cours des choses, à sa modeste mesure. »
L’état sauvage est attendu en 2019.