La sérénité frénétique de Francis Bordeleau

Après ce premier long métrage tourné sur les chapeaux de roues entre Laval, Saint-Hubert, Mirabel et le Plateau Mont-Royal, Francis Bordeleau ne veut pas s’arrêter en si bon chemin.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Après ce premier long métrage tourné sur les chapeaux de roues entre Laval, Saint-Hubert, Mirabel et le Plateau Mont-Royal, Francis Bordeleau ne veut pas s’arrêter en si bon chemin.

Nous n’avions même pas encore pris notre première gorgée de thé vert au milieu du décor feutré d’un café-bar du boulevard Saint-Laurent que Francis Bordeleau se disait d’entrée de jeu « serein ». Pas mal pour un cinéaste de 25 ans qui n’a que deux courts métrages (Iceland, Carnasse) derrière la cravate et un long dont la première a eu lieu au début du mois d’octobre au cinéma Impérial devant un parterre composé de gens du milieu du cinéma, mais surtout d’amis.

Francis Bordeleau semble d’ailleurs avoir beaucoup d’amis, étant donné le nombre de personnes qui, devant ou derrière sa caméra, ont accepté de lui faire confiance, de le soutenir (dont financièrement), pour lui permettre de réaliser Wolfe, moins un film qu’un cri d’urgence. Cette précipitation s’est d’ailleurs ressentie à toutes les étapes, de l’écriture du scénario en quatre jours (« J’ai écrit sans arrêt, jusqu’au moment d’arriver au point final ») jusqu’au tournage en 12 (« Je ne le referais pas »), en passant par le nombre incalculable d’appels téléphoniques effectués à travers le monde pour obtenir du financement. « Quand tu te fais dire non 500 fois, à Moscou comme à Los Angeles, tu finis par comprendre ce que tu dois dire… ou pas », confie celui qui a finalement appris à « vendre [son] idée en dix secondes ».

Et que défendait-il au juste ? Une étrange et ostentatoire cérémonie des adieux, celle d’Andie (Catherine Brunet, et oubliez à jamais la petite fille espiègle du Monde de Charlotte), le centre d’une bande de copains, d’une « meute », où elle semble faire la loi et attirer les garçons à la testostérone en folie. Auprès d’elle, on reconnaît une foule de jeunes acteurs qui, comme on dit, prennent du galon, dont Ludivine Reding (révélée grâce au succès de la série Fugueuse), Antoine Pilon (Nouvelle adresse, Le chalet), Léa Roy (19-2) et Julianne Côté (Tu dors Nicole, Le jeu). Le jour de son anniversaire, cette héroïne imprévisible et impulsive va orchestrer un coup d’éclat dont les répercussions se révéleront assourdissantes.

Un premier film, c’est une sorte d’empreinte, tes premières couleurs. À l’écriture, même si tu ne le veux pas, il va forcément y avoir des aspects autobiographiques. Mais autant tu ne peux pas faire un film uniquement pour plaire, autant faire un film autobiographique à 100 % comporte des dangers.

Devant un premier film aussi personnel et aussi esthétisant, la question de l’autobiographie déguisée apparaît incontournable, et Francis Bordeleau, ancien étudiant en communication et politique à l’Université de Montréal, répond avec assurance, s’étant visiblement préparé à la question. « Un premier film, c’est une sorte d’empreinte, tes premières couleurs. À l’écriture, même si tu ne le veux pas, il va forcément y avoir des aspects autobiographiques. Mais autant tu ne peux pas faire un film uniquement pour plaire, autant faire un film autobiographique à 100 % comporte des dangers : c’est encore plus blessant s’il est mal reçu. Ce qu’il faut, c’est savoir maquiller tout cela, le fantasmer. »

Même si le jeune cinéaste jongle avec des thèmes assez lourds, comme le suicide et l’intimidation, il tenait à soigner l’aspect visuel, sachant bien sûr qu’il ne pouvait accomplir des miracles, ou de grandes prouesses, avec un budget d’environ 235 000 $. Cela lui apparaissait comme une nécessité, ne cachant pas son admiration pour les audaces qu’il peut voir ailleurs, sur d’autres plateformes, comme Netflix par exemple, et une envie impérieuse de se démarquer, entre autres face à ses confrères cinéastes québécois plus âgés !

Mot clé : performance

Très peu pour lui, « les drames sombres » ou alors les films « un peu iceberg ». Un peu… quoi ? Francis Bordeleau précise alors sa pensée : « C’est gris, c’est blanc, c’est terne, c’est plate. » Viennent ensuite quelques exemples que l’on se gardera bien de répéter, mais l’affirmation témoigne de son ambition évidente et dévorante, celle « de capter les 15-35 ans ».

« Miguel Henriques, le directeur de la photographie, a travaillé pour le Cirque du Soleil. Notre mot clé, c’était “performance”. Et pas seulement celle des acteurs, mais en abordant des sujets délicats sans être arides. D’où mon envie, dès l’écriture, d’inclure une chanson de Pierre Lapointe [Deux par deux rassemblés] dans la séquence du suicide, plutôt que des pleurs ou des chants grégoriens. »

Après ce premier long métrage tourné sur les chapeaux de roues entre Laval, Saint-Hubert, Mirabel… et le Plateau Mont-Royal !, Francis Bordeleau ne veut pas s’arrêter en si bon chemin. Le tournage de son deuxième long devrait s’amorcer en avril prochain (« J’aurai 24 jours ; 12, c’est fini ! »), et celui qui se qualifie de « serein » ne tente jamais de camoufler une frénésie qui l’habite sans cesse.

Mais pourquoi tant d’agitation chez celui qui a plaqué son mémoire de maîtrise avant de terminer les 60 dernières pages ? « De la même façon que je n’ai pas voulu déposer Wolfe aux institutions comme la SODEC et Téléfilm Canada, parce que je voulais qu’il existe, rapidement, je ne me sentais pas plus capable de faire neuf courts métrages avant qu’on m’autorise à tourner mon premier long. Je me répète toujours “J’ai cinq ans à vivre”. Ça me force à faire tout ce que je veux, à mettre tous les efforts pour atteindre mes ambitions. Maintenant. »