«First Man»: quartier de lune

Adapté de la biographie de Neil Armstrong par James R. Hansen, First Man n’est pas le film le plus fin du très doué cinéaste de Whiplash et de La La Land, mais démontre la polyvalence de Damien Chazelle, capable de prendre la barre d’une mégaproduction. Chose certaine, ce film nous en apprend beaucoup sur les dessous de la mission Apollo 11, qui fit marcher pour la première fois en 1969 l’homme sur le satellite de la Terre, même si Georges Méliès, dès 1902, en avait accompli le prodige à travers son immortel Voyage dans la Lune.
Mêlant, et pas toujours avec doigté, la vie privée d’Armstrong (Ryan Gosling) aux péripéties multiples de la mission d’alunissage, ce film ne vaudra sans doute pas aux acteurs de prix d’interprétation. Le duo que Ryan Gosling forme avec Claire Foy, dans la peau de son épouse inquiète et acariâtre, n’a pas l’envol — puisque envol il y aura — de son pas de deux avec Emma Stone dans La La Land. Il faut dire que Neil Armstrong était un homme de peu de mots et d’émotions dans la vraie vie, registre dans lequel devait se cantonner Gosling. Reste qu’on sent le cinéaste Chazelle aux prises avec des défis techniques qui lui font oublier de pousser sa direction d’acteurs.
Les images de l’espace et du vaisseau spatial ont des formats multiples (IMAX, 35 mm, 16 mm et autres), difficiles à gérer, mais, au bout du compte, on verra moins la Lune que la misère conjugale dans ce film qui prend du temps à trouver sa route (même techniquement et musicalement).
Entre les prises de bec des membres de la NASA, plusieurs morts dans les missions d’entraînement et les déboires familiaux d’Armstrong, alors que Buzz Aldrin (Corey Stoll), Roger Bontemps, vit le parfait bonheur de son côté, cette longue mise en perspective permet du moins de saisir tous les obstacles semés sur la route de l’aventure lunaire. Manifestations des rues contre le coût astronomique de l’expédition, dangers de mort et problèmes médicaux auxquels ces astronautes, vomissant en cours d’entraînement, sont confrontés, balisent la voie du grand décollage. La solitude du héros, force du film, est au centre de First Man, en contraste avec la gloire en vue.
Armstrong, en homme qui serre les dents et que rien ne destinait à prendre les commandes de la fameuse navette pour devenir une icône planétaire, prend peu à peu vie et son stress passe l’écran à mesure que le jour J se rapproche. La dernière partie, entre clair de lune et clair de terre, décollage et alunissage, se fait puissante et maîtrisée, quand tout s’efface devant la victoire, quoique First Man aborde aussi l’après-triomphe, avec la mise en quarantaine de ceux qui firent l’histoire, réduits de nouveau à leur dimension humaine.
Il est possible — ces clivages existent — que le film séduise davantage une audience masculine plus que féminine, mais faute d’unité dans le mélange des genres, First Man en laissera plus d’un, plus d’une surtout, sur sa soif du chef-d’œuvre espéré.