Maria Callas, la femme derrière la «diva absolue»

La scène se déroule à New York il y a quelques années. Assailli par le mal du pays, Tom Volf, un étudiant en médecine français, erre dans Manhattan. Arrivé devant le Metropolitan Opera, il entre, plus par désoeuvrement que par envie. De son propre aveu, il est alors parfaitement indifférent à l’art lyrique. Or, pendant le spectacle auquel il assiste, une chose extraordinaire se produit : la naissance d’une passion. De là, ce n’est qu’une question de temps, peu de temps en l’occurrence, avant que le jeune homme « rencontre » celle qu’on surnommait la « diva assoluta », ou diva absolue : Maria Callas. On l’attrape après une présentation au TIFF, et avant une autre au Festival de cinéma de la ville de Québec, de son documentaire Maria by Callas.
« Sa voix, sa présence, m’ont touché intimement », explique Tom Volf, spécialiste autodidacte de la chanteuse. De fait, il est aussi responsable d’une exposition et d’un triptyque de livres sur elle.
« La première phase de ma découverte de Maria Callas s’est déroulée sur Internet, où j’écoutais des airs et où je lisais sur elle. Rapidement, je suis entré en contact avec des gens qui mettaient en ligne des informations, mais aussi des enregistrements pirates. Un Australien, entre autres, consacrait tout son temps libre à numériser et à mettre en ligne de vieux vinyles d’enregistrements clandestins nettoyés par ses soins, afin de les rendre accessibles. Il pouvait m’écrire des mails de trois pages détaillant, par exemple, en quoi la Norma de Callas à la Scala en 1955 est différente de celle de Londres en 1952, parce que là, elle a fait telle note, telle note, telle note… »
Cette ferveur planétaire que suscite encore Maria Callas, ce, chez des gens de tous âges, frappa Tom Volf. « La passion des autres a nourri ma propre passion », résume-t-il.
À un point tel qu’il décida de revenir à son premier métier : la réalisation.
Réelle intimité
Ainsi débuta la seconde phase de découverte, la plus enrichissante, précise le documentariste, qui consista dans la rencontre des proches toujours vivants de Maria Callas : ses amis, sa femme de chambre, son majordome…
« Ils se sont ouverts à moi de façon extraordinaire. Ils m’ont confié des choses qui n’étaient ni dans les livres ni dans les films. Peut-être est-ce à cause de ma démarche, qui était très personnelle : je ne représentais pas un média, ni un studio… Ces gens ont compris que je ne voulais pas me mettre moi au centre en utilisant Callas, comme ç’a beaucoup été fait, mais qu’au contraire, j’entendais me mettre à son service. Au service de son histoire, de sa vérité, avec sa seule parole, ce qui n’avait jamais été fait. »
Dans Maria by Callas, un peu comme dans Pauline Julien… intime et politique de Pascale Ferland, également projeté au FCVQ, reportages et « films maison » dont certains inédits donnent à entendre Maria Callas à diverses époques tandis que des extraits de sa correspondance (lus par Fanny Ardant) ajoutent une couche de sens aux images.
« Rien ne vient polluer le procédé : c’est elle et exclusivement elle. C’était le seul moyen selon moi de favoriser une vraie immersion, d’atteindre une réelle intimité avec elle. Pour sentir qui elle était véritablement, et pas juste la comprendre intellectuellement. »
Plus Maria que Callas
Une entrevue, en particulier, sert en quelque sorte d’écrin à l’ensemble. Maria Callas s’y livre sans ambages, revenant sur une carrière à laquelle elle aurait volontiers renoncé, affirme-t-elle, pour fonder une famille, rappelant que c’est sa mère qui la poussa à chanter, après quoi son mari prit le relais. « C’est le destin. Le destin est plus fort que tout », lâche-t-elle.
« C’est une entrevue qu’elle a accordée à David Frost en 1970, diffusée en direct, et qui n’a été préservée d’aucune façon officielle. Un de ses proches avait un enregistrement, unique. En le regardant, j’ai compris que ce n’était pas une interview classique. Il faut savoir que c’était une période très spéciale pour elle. C’est moins de deux ans après qu’[Aristote] Onassis l’eut quittée pour Jackie [Kennedy], cinq ans après son dernier passage sur une scène d’opéra : elle se cherche. Elle est dans un moment pivot de sa vie, et quelque chose se passe ce jour-là, à ce moment-là. Pour tout un tas de raisons, dont Frost lui-même, elle va se révéler comme jamais elle ne s’est révélée jusque-là, et comme jamais elle ne se révélera par la suite. Elle y est bien plus Maria que Callas. Cet entretien s’est imposé comme le fil rouge du film. »
Le contenu se meut alors un peu en réminiscences de Callas, qui en est à dresser un bilan de son existence, une existence mouvementée, autant en privé que sous les projecteurs. À ce propos, au faîte de sa popularité, on sent poindre l’agacement de certains.
Éthique de travail
Car elle dérangeait, « La Callas ». Caractérielle et chichiteuse, se plaisait-on à colporter. Ces messieurs, car l’élite critique et institutionnelle était mâle, se sentaient-ils intimidés par la détermination et le talent de la Maria Callas ?
« Quiconque atteint une célébrité et une reconnaissance du public de cette ampleur, planétaire, attise les jalousies. Elle a dû se battre une grande partie de sa vie contre ça, contre les prétendus scandales parfois créés de toutes pièces pour lui nuire. »
En contraste, son ancienne professeure de chant parle, elle, d’une travailleuse acharnée à l’éthique de travail exemplaire ; d’une jeune fille devenue femme rigoureuse et disciplinée comme personne.
« C’est une clé de compréhension fondamentale qui indique à quel point elle était une perfectionniste dès l’adolescence. Lorsqu’elle ne réussissait pas à atteindre le niveau qu’elle voulait donner, elle renonçait à se produire. Ce qui passait pour un caprice était une manifestation de son exigence vis-à-vis d’elle-même pour offrir le meilleur au public. »
Au moment d’être foudroyée par une crise cardiaque dans son appartement parisien à l’âge de 53 ans, Maria Callas répétait.
Maria by Callas sera présenté de nouveau le 22 septembre et prendra l’affiche le 26 octobre. François Lévesque est à Québec à l’invitation du FCVQ.