«Pauline Julien… intime et politique»: la passion faite femme(s)

Pascale Ferland confie qu’elle partage le rêve indépendantiste de Pauline Julien. Toutefois, elle précise que son film se veut d’abord une invitation à reprendre, sinon celui de la souveraineté, l’un des nombreux autres flambeaux en mal d’être brandis à présent.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Pascale Ferland confie qu’elle partage le rêve indépendantiste de Pauline Julien. Toutefois, elle précise que son film se veut d’abord une invitation à reprendre, sinon celui de la souveraineté, l’un des nombreux autres flambeaux en mal d’être brandis à présent.

Le Festival de cinéma de la ville de Québec présente Pauline Julien… intime et politique le 15 septembre. La réalisatrice, Pascale Ferland, a eu accès aux archives personnelles de la disparue pour concevoir son documentaire. Entretien.

Dès les premières minutes du documentaire Pauline Julien… intime et politique, un extrait d’entrevue datant des années 1960 saisit de par sa prescience. En parlant à un journaliste de Marilyn Monroe, qu’elle admirait, Pauline Julien glisse : « Sa mort m’a extrêmement touchée ; je l’ai comprise, dans un sens. » À son tour, il y a vingt ans de cela cette année, la chanteuse atteinte d’aphasie dégénérative mit fin à ses jours. Peut-être l’inéluctabilité de cette issue en dissuadera-t-elle de voir le documentaire de Pascale Ferland dévoilé samedi au Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ). Ce serait vraiment dommage, car c’est là une oeuvre profondément belle et émouvante, utile aussi, que propose la cinéaste.

En 2014, je revisitais mes notes… C’était un contexte sociopolitique sombre : c’est ce qui m’a ramenée presque irrésistiblement vers Pauline. J’avais besoin d’être inspirée. J’avais le goût de plonger dans des archives qui donneraient un sens à ce que j’observais, à ce que je vivais.

De l’ascension fulgurante au retrait crève-coeur en passant — d’où le titre — par l’engagement politique, le film de Pascale Ferland (L’immortalité en fin de compte, Adagio pour un gars de bicycle) ramène Pauline Julien dans toute son intégrité émotionnelle et professionnelle. Tourmentée en privé, incandescente sur scène, elle est là de nouveau, vibrante, vivante, 77 minutes durant.

« L’idée du documentaire remonte à 1999, révèle Pascale Ferland. J’ai connu Pascale Galipeau, la fille de Pauline Julien, à cette époque-là. Elle est spécialiste de l’art brut et de l’art populaire au Québec, et mes premiers films portaient sur ces sujets. Pauline était décédée peu de temps auparavant, mais évidemment, il s’agissait d’un événement traumatique et je trouvais le moment mal choisi. Pascale avait en outre mis les archives de sa mère sous scellés pour une période indéterminée. »

La faculté d’inspirer

Puis, en 2011, Simon Beaulieu présenta Godin, documentaire sur le poète et homme politique Gérald Godin, avec qui Pauline Julien partagea 32 ans de vie. « Pauline était dans le film, un peu ; juste assez pour me rappeler son ampleur. »

Rassurée quant au fait que son confrère n’entendait pas lui-même réaliser un film sur Pauline Julien, Pascale Ferland ressuscita son projet. Or, désireuse d’offrir un film distinct, elle prit encore du temps, réfléchissant aux questions tant de fond que de forme.

« En 2014, je revisitais mes notes… C’était un contexte sociopolitique sombre : c’est ce qui m’a ramenée presque irrésistiblement vers Pauline. J’avais besoin d’être inspirée. J’avais le goût de plonger dans des archives qui donneraient un sens à ce que j’observais, à ce que je vivais. J’ai donc rappelé Pascale Galipeau. »

Autour d’un café, les deux femmes ont vite convenu de la nécessité de lui consacrer un documentaire.

« Pascale m’a dit : “Je te donne carte blanche et je t’ouvre les archives de ma mère, sans restriction.” Elle avait publié La renarde et le mal peigné en 2009, mais il ne s’agissait que d’une fraction de la correspondance entre Pauline Julien et Gérald Godin : on parle d’environ 500 lettres échangées sur trois décennies. Tout ça jumelé aux journaux de Pauline… »

Les écrits de cette dernière, qui se raconte elle-même en quelque sorte, constituent la trame du film. Dominique Quesnel et Marc Béland narrent ces passages tirés de ladite correspondance avec un brio tel qu’on les oublie : habitées, leurs voix hors champ se substituent à celles du couple qu’on voit évoluer à l’écran, entre autres grâce à des passages remontés du court métrage Fabienne sans son Jules de Jacques Godbout.

La prise de conscience

 

Si elle met en exergue l’amour du couple uni dans son engagement viscéral pour la cause de l’indépendance, Pascale Ferland n’en privilégie pas moins la seule perspective de Pauline Julien. C’est à son point de vue intime — d’où le titre, bis — que l’on s’attache.

« C’était mon angle d’approche : son regard, ses mots, sa parole. » On revient ainsi sur un parcours incroyable : « Dans les années 1960-1970, c’était une mégastar. »

À cet égard, un autre extrait d’entrevue permet de comprendre le cheminement de Pauline Julien. Au journaliste, elle évoque sa relative indifférence vis-à-vis des revendications souverainistes à l’époque où elle vivait surtout en France, cela en contraste avec sa prise de conscience identitaire une fois réinstallée au Québec, avec l’enjeu de la sauvegarde de la langue française en toile de fond.

Pascale Ferland confie en l’occurrence qu’elle partage le rêve indépendantiste de Pauline Julien. Toutefois, elle précise que son film se veut d’abord une invitation à reprendre, sinon celui de la souveraineté, l’un des nombreux autres flambeaux en mal d’être brandis à présent.

« Le réchauffement climatique s’accélère, on vit la sixième extinction massive des espèces… La politique est si peu inspirante. Un personnage comme Trump trône à la Maison-Blanche… Ici, on penche à droite et les iniquités sociales me désespèrent et m’enragent. Se rappeler Pauline Julien, aujourd’hui, ça m’apparaît pertinent. »

Un beau modèle

 

En effet, dans le documentaire, on constate combien Pauline Julien était sincère, conséquente, que ses convictions déclarées ne relevaient pas de la posture.

« Elle était ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait, résume Pascale Ferland. Même après que l’aphasie l’eut contrainte à renoncer à chanter, elle est allée travailler pour des ONG, notamment en Afrique. Ceux qui l’ont connue savaient, autre exemple révélateur, qu’elle ne sortait jamais de chez elle sans une grosse poignée de monnaie qu’elle distribuait en chemin aux sans-abri qu’elle croisait. C’est tout ça, la personne entière, que j’ai voulu ramener à l’avant-scène. »

Et cela, en replaçant la vie de Pauline Julien dans son contexte sociopolitique, toujours, et à dessein.

« Je ne m’adresse pas tant aux gens de sa génération, qui eux se souviennent, qu’aux plus jeunes, afin qu’ils la découvrent. C’est tellement un beau modèle féminin fort. S’il y a un seul ou une seule jeune, dans une salle, qui est transporté et inspiré par elle, je serai comblée. »

Après son passage au FCVQ, «Pauline Julien… intime et politique» fera l’objet d’une soirée tapis rouge au théâtre Outremont de Montréal avant de prendre l’affiche le 21 septembre.