«The Accountant of Auschwitz»: le dernier procès

Son procès avait fait les manchettes du monde entier en 2015, avec raison : alors âgé de 94 ans, l’homme était accusé, et en a été reconnu coupable, de la mort de 300 000 personnes.
Le revoilà au cinéma, l’Oskar Gröning pris avec la justice allemande. Le documentaire The Accountant of Auschwitz, une production canadienne, fait davantage que refaire le procès. Il pose la délicate question : à quoi bon ces procès, 30, 40, 70 ans après les faits ?
L’Holocauste au cinéma et dans les arts en général n’est pas un sujet rare, vous en conviendrez. Mais le cas Gröning, le comptable d’Auschwitz, a ses particularités.
Son procès est le seul que l’avocat Thomas Walther a réussi à obtenir sur les douze qu’il souhaitait. Dix de ses cibles ont été déclarées inaptes à subir des procès, la onzième est morte. Oskar Gröning, décédé en 2018, pourrait avoir été le dernier nazi à être jugé.
Gröning avait aussi le défaut, ou l’honneur, d’avoir reconnu l’Holocauste. Un ancien nazi qui valide l’existence des camps d’extermination, c’est le chaînon manquant dans l’histoire.
Dans les multiples archives qu’a retenues le documentariste torontois Matthew Shoychet, on voit l’ancien officier admettre devant la caméra de la BBC des faits pourtant connus. Il ajoute même, en substance, qu’il raconte ceci pour faire taire les négationnistes.
Retour sur Nuremberg
Les premières scènes de The Accountant of Auschwitz, aussi touchantes soient-elles, ne semblent pourtant que ressasser une fois de plus l’horreur de la Shoah. Les entrevues menées auprès de quatre survivants de camps nazis ne dépassent pas, elles, le cadre d’un reportage télé.
Ces survivants, ce sont les quatre témoins appelés à la barre par Walther. Peu à peu, à travers leurs récits et leurs propres besoins de justice, le cinéaste survole les efforts plus ou moins réussis depuis 1945 pour condamner les acteurs du génocide.
On retombe dans le procès de Nuremberg, premier exercice du genre tenu en 1947, qualifié de « procès du siècle ». On revit aussi, avec gêne et peine, les démêlés judiciaires et grossiers d’un fallacieux John Demjanjuk, étalés sur près de quatre décennies, jusqu’à la mort de l’ex-garde du camp de Sobibor, en 2012.
Complexes et lourdes, les batailles judiciaires prennent dans le documentaire la forme de visages humains. Shoychet réunit à l’écran plusieurs de ceux qui ont été au front, littéralement.
Parmi eux, Benjamin Ferencz, 98 ans. Celui qui a participé au Débarquement a été le procureur en chef lors du procès de Nuremberg. Habile communicateur, mémoire toujours vive, il refait, archives personnelles à l’appui, son propre argumentaire.
Depuis 1945, les génocides ne sont pas disparus pour autant. Le procès de 2015 a là sa principale justification. Condamner un nonagénaire ne règle pas tant le passé qu’il s’adresse au futur. Que ce cas se soit déroulé sur fond de manifestations néonazies rappelle le danger qui guette encore l’Allemagne et le monde entier.