«Ôtez-moi d’un doute»: à quel père se vouer?

Certaines personnes passent leur existence à chercher un parent disparu dans la nature ou le brouillard ; les motifs de l’absence sont multiples, et parfois douloureux. Ce n’est pas tout à fait le problème d’Erwan (François Damiens, une certaine gravité) dans Ôtez-moi d’un doute, de Carine Tardieu (Du vent dans mes mollets). Lui peut se vanter d’avoir deux pères, mais oubliez la dynamique de la garde partagée et des familles reconstituées : c’est plus compliqué, plus délicat, et à l’occasion rocambolesque.
Cet homme à l’aube de la cinquantaine exerce le métier périlleux de démineur, métaphore de la situation explosive dans laquelle nous plonge la cinéaste, illustrant ses dangers sur le terrain (mais oubliez The Hurt Locker, de Kathryn Bigelow), et surtout la déflagration provoquée par l’annonce qu’il ne possède pas le même bagage génétique que son père Bastien (Guy Marchand, en bougon sympathique, une spécialité). Une révélation faite devant sa fille Juliette (Alice de Lencquesaing), enceinte jusqu’aux yeux, qui ne tient pas à retrouver l’homme qui a fait d’elle une mère.
Derrière le drame se profile une comédie plutôt légère, surtout dans cette manière de retrouver le géniteur (grâce à l’ironie d’une détective privée jouée par la trop rare Brigitte Roüan) et aussi de rencontrer l’amour, devant la carcasse d’un sanglier, avec Anna (Cécile de France, d’une belle insolence), médecin avec la cigarette au bec sans complexe. Un imbroglio important se dénoue très vite, question d’éviter les tourments de la tragédie grecque, Erwan découvrant qu’Anna est la fille de Joseph (André Wilms), celui qui a toutes les chances d’être son père biologique, chose qu’il se garde bien de révéler à Bastien, qui semble tout ignorer de cette histoire d’infidélité conjugale aux répercussions étonnantes.
Sous les ciels cotonneux de la Bretagne, tout ce monde en quête d’identité et de certitudes finit forcément par se croiser à la faveur de leurs déplacements dans les pittoresques villages de la région, ainsi que sur les côtes balayées par les grands vents que Carine Tardieu contemple avec une admiration évidente. Ces chassés-croisés exigent un sérieux travail d’arrimage, et bien des tiroirs à refermer en fin de course. À tout cela se superpose une autre intrigue à saveur paternelle, cette fois autour de la véritable identité du père de l’enfant à naître d’Alice ; encore là, le mystère n’apparaîtra surprenant qu’aux yeux des spectateurs les moins attentifs.
De l’ensemble émane une évidente tendresse pour ces antihéros en perte de repères, eux qui, dans leurs petites misères quotidiennes, celles du célibat, du veuvage ou de la vieillesse, croyaient en quelques certitudes qui volent subitement en éclats : un fils inconnu qui surgit de nulle part ; une soeur que peu de temps auparavant on imaginait comme amante ; un enfant unique que l’on craint de partager avec un autre père. On oscille bien sûr entre rires et larmes, mais on ne peut que constater l’ambition parfois démesurée de Carine Tardieu à gérer cet embouteillage de symboles et de situations dignes d’une tragédie grecque passée à la moulinette du vaudeville.