«Normandie nue»: déshabillez-les!

François Cluzet est excellent dans le rôle de Georges Balbuzard, grognon sympathique.
Photo: SND Films François Cluzet est excellent dans le rôle de Georges Balbuzard, grognon sympathique.

On aurait tort de croire le prétexte usé, même s’il est vrai que le cinéma anglais a déjà sillonné ces sentiers, ceux où des héros du quotidien se déshabillent pour une noble cause, comme dans The Full Monty ou Calendar Girls. Chaque fois, il s’agit d’un joli pied de nez à la tyrannie des corps parfaits et un rappel amusant que les êtres humains sont tous égaux lorsqu’ils n’ont rien sur le dos.

Les paysans imaginés par Philippe Le Guay (Molière à bicyclette, Floride) n’en sont pas si convaincus dans Normandie nue, une comédie que l’on pourrait qualifier d’« à l’anglaise » avec ce mélange d’humour tout en finesse et de préoccupations sociales. Car ces agriculteurs n’ont pas le coeur à la fête devant la chute des prix de la viande, le travail harassant, les dettes accumulées et le désespoir qui pousse parfois au suicide.

Bouillant, volontaire, Georges Balbuzard (François Cluzet, excellent en grognon sympathique), le maire d’un village pittoresque mais rongé par l’inquiétude, défend son coin de pays avec une fougue inébranlable, et ce, depuis plus d’une décennie. Il connaît toutes les méthodes musclées pour attirer l’attention, mais son dernier coup d’éclat, le blocage d’une route, s’est transformé en coup d’épée dans l’eau. Or, au milieu des automobilistes frustrés, Newman (Toby Jones), un photographe de renommée internationale, s’extasie devant un champ dominé par un arbre qui semble sortir d’une toile de Magritte.

C’est là, et nulle part ailleurs, qu’il veut reproduire ce qu’il fait de mieux : au milieu d’un paysage, photographier des corps nus (toute allusion à Spencer Tunick n’a rien de fortuit). La proposition plaît au maire, mais pour qu’elle se réalise, il doit convaincre ses concitoyens, pas si empressés de se déshabiller un beau jour de printemps, et pour un Américain en plus ! Dans un lieu aussi tricoté serré, la nouvelle se répand vite, de même que les rumeurs, une initiative qui a surtout la particularité de réveiller de vieilles rivalités, des jalousies névrotiques, et quelques obsessions corporelles.

Cette entreprise de sauvetage, doublée d’une entreprise de persuasion, constitue le coeur d’un film choral utilisant ce prétexte spectaculaire, et sans aucun voyeurisme, pour décrypter les maux de la campagne française, pas si différents des nôtres. La présence moralisatrice des néoruraux, l’exode des jeunes, l’absence de relève agricole, Normandie nue aborde tous ces thèmes graves avec une délicieuse légèreté, même si Philippe Le Guay semble parfois se perdre au milieu de ses ambitions. Sa description du patron d’une agence publicitaire parisienne déterminé à s’enraciner dans la terre plutôt que sur le bitume constitue d’ailleurs le maillon faible de ce florilège de personnages contrastés et de situations parfois teintées d’absurde.

On y reconnaît toutefois sa délicatesse, son sens aiguisé de l’évolution des moeurs, parfois à la lumière de la lutte des classes, comme celle qui traversait Le coût de la vie ou Les femmes du 6e étage. Sa démarche n’est pas si différente dans Normandie nue, juste un peu plus éparpillée, moins originale, mais elle invite à prendre la clé des champs. Peu importe ce que vous avez sur le dos.

Normandie nue

★★★ 1/2

Comédie de Philippe Le Guay. Avec François Cluzet, Toby Jones, Vincent Regan, François-Xavier Demaison. France, 2017, 105 minutes.