La fibre artistique de François Barbeau

Par la magie du cinéma, le documentaire de Jean Beaudry permet de replonger dans l’atelier de François Barbeau.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Par la magie du cinéma, le documentaire de Jean Beaudry permet de replonger dans l’atelier de François Barbeau.

En janvier 2016 s’éteignit dans son sommeil le créateur de costumes François Barbeau. Figure immense du théâtre cinq décennies durant, il s’illustra également au cinéma. Comme plusieurs collaborateurs de longue date le signalèrent alors en lui rendant hommage, ce métier-là, au Québec, c’est lui qui l’a inventé. Vers 2012, Jean Beaudry prit sur lui de lui consacrer un documentaire, production qu’il ne put terminer qu’après le décès de M. Barbeau. Dévoilé aux Rendez-vous Québec cinéma, le film prend l’affiche ce vendredi.

Près de six ans de production, donc, pour une idée qui germa… en Europe.

« La conservatrice Andrée Lemieux, qui est ma conjointe, a organisé en 2011, en République tchèque, une exposition mettant en valeur le travail de François Barbeau. C’était dans le cadre de la Quadriennale de Prague. J’ai été ébloui par ses créations, mais j’ai surtout pris conscience qu’aucun documentaire n’avait encore été fait sur lui », se souvient Jean Beaudry, réalisateur notamment des films Les matins infidèles et Pas de répit pour Mélanie.

Parmi les créations les plus mémorables de François Barbeau, les costumes de Christine, la reine-garçon et ceux de La divine illusion, pièces de Michel Marc Bouchard mises en scène par Serge Denoncourt, collaborateur le plus assidu du costumier.

 

Au cinéma, il y eut Kamouraska de Claude Jutra, Atlantic City de Louis Malle, Léolo de Jean-Claude Lauzon, Pour l’amour de Dieu de Micheline Lanctôt…

Parti sans prévenir

 

Jean Beaudry se présenta donc à la porte de François Barbeau, qui se montra initialement circonspect. « Il a fallu un certain apprivoisement. J’ai commencé à le fréquenter ; on se voyait assez souvent. »

Un lien de confiance s’est graduellement tissé entre le réalisateur et le sujet. En parallèle, Jean Beaudry obtint unpeu d’argent pour développer son projet encore embryonnaire.

Puis, lorsque François Barbeau amorça la conception des costumes pour la production de Cyrano de Bergerac au TNM, le cinéaste saisit sa chance de filmer l’homme dans le feu de la création.

« Aucune subvention ne nous a été accordée pour le tournage. Je me suis dit, tant pis, j’y vais quand même ! Avec Philippe Lavalette [direction photo/caméra], on l’a filmé dans son atelier à plusieurs occasions, car ça s’est échelonné dans le temps. J’attendais, j’espérais toujours un peu de sous qui ne sont jamais venus. Et en même temps, je préparais François pour un long entretien de fond. Il était assez en forme… Et puis, comme l’a dit Xavier Dolan, il est parti sans prévenir. »

Tournure émotionnelle

 

Pas de grande entrevue à proprement parler, certes, mais devant le résultat qui alterne souvenirs de collaborateurs et bouts de quotidien glanés dans l’atelier, on se dit qu’il s’agit peut-être d’un mal pour un bien. En cela que le créateur ne se révèle jamais autant que dans l’action.

« Je suis heureux d’avoir pu le filmer à l’oeuvre. Ensuite, j’avais déjà prévu de filmer différents témoignages, tant de ses collaborateurs du théâtre et du cinéma que de ses assistantes, mais évidemment, dans le contexte, ça a pris une tournure plus émotionnelle. Presque tous les acteurs, de tous âges, qui ont foulé les planches ici ont porté ses costumes. J’ai voulu réunir un échantillonnage représentatif. Tout le monde a été très volontaire. »

Malgré cela, Jean Beaudry admet que ce n’est pas sans tristesse qu’il poursuivit le tournage après le décès de François Barbeau, qui en était venu à apprécier la présence du cinéaste.

« Après un certain temps, j’ai constaté qu’il était finalement content qu’on fasse ce film. Quand je quittais son atelier, il me serrait la main très fort en me disant : “Vous revenez quand vous voulez.” »

Par la magie du cinéma, c’est exactement ce que permet de faire le documentaire de Jean Beaudry.

Critique du documentaire

★★★ 1/2
François Barbeau : créateur de costumes

Documentaire de Jean Beaudry, Québec, 2018, 51 minutes.

Sans le savoir au moment d’entamer la production de son documentaire, Jean Beaudry s’est trouvé à capter pour la postérité les derniers moments de création d’un artiste d’exception. Célébré dans les cercles théâtraux et cinématographiques, François Barbeau était relativement peu connu en dehors de ceux-ci.
Un état de fait que corrige le film François Barbeau : créateur de costumes en filmant l’homme dans son atelier et en donnant la parole à maints collaborateurs, dont le metteur en scène Serge Denoncourt et la cinéaste Micheline Lanctôt. Recueillis après le décès de son complice, les propos de cette dernière éclairent, émeuvent et font rire, souvent lors de la même intervention. Quant au premier, on est témoin de sa connivence avec le costumier de son vivant.
Cette suite de moments privilégiés transcende la modestie de la production. Du reste, François Barbeau ne fut jamais porté sur la fatuité. On le regarde, fasciné, peindre de minuscules breloques puis les coudre sur une robe, détails invisibles au public, mais destinés à informer les interprètes, à capter la lumière d’une certaine façon… Devant une telle minutie, un tel dévouement à son art, on ne peut qu’être bouleversé.

François Lévesque



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