Nathalie Lasselin, la tête la première dans le Saint-Laurent

À voir Nathalie Lasselin, on ne croirait pas qu’elle est adepte d’un des sports les plus dangereux au monde, la plongée spéléo et la plongée en rivières souterraines. Pourtant, elle a pratiqué ce sport partout dans le monde. Cinéaste et photographe, elle en a d'ailleurs tiré des images et des films.
Mais la jeune femme a décidé cette fois de s’intéresser à une nature qui se déploie tout à côté de chez elle. Au cours des prochains mois, elle tournera un documentaire sous-marin sur les fonds du fleuve Saint-Laurent, aux alentours de Montréal.
« Depuis que je plonge, j’ai vu les conditions des eaux potables et des océans changer, la fonte de la banquise. Un peu partout dans l’environnement, je vois des changements. Or, on va toujours explorer très loin de chez nous. Mais il y a ce fleuve qui est là. Et ce qu’il y a en dessous, on ne le sait pas. On ne le connaît pas », dit-elle.
Déjà, l’été dernier, elle a piqué une tête dans le fleuve en plongeant à partir de La Ronde, pour en ressortir, 21 kilomètres plus tard, au bout est de l’île, près de Repentigny. En septembre, elle entend réaliser un exploit en parcourant les 70 kilomètres qui séparent les deux extrémités de l’île de Montréal, en une seule plongée.
Familiariser les Montréalais
Au fond du Saint-Laurent, autour de Montréal, la visibilité ne dépasse pas cinq pieds, mais les esturgeons sont gigantesques, dit-elle. Puisqu’elle ne fait pas de bulles, grâce à un système de recyclage de l’air, il arrive que les poissons s’approchent très près de son masque. On est loin des mers du Sud, et même des très beaux fonds marins qu’on trouve aux Escoumins, ou à Percé, note-t-elle. « L’anecdote la plus étrange, bizarrement, cela a été d’entendre un très gros bruit, comme un vrombissement », raconte-t-elle.
Lorsqu’elle plonge, Nathalie Lasselin s’assure d’être suivie par un bateau, avec lequel elle est en communication. Lorsqu’elle a perçu ce bruit, elle a demandé si un autre bateau était dans les parages. On lui a répondu que non. Elle a alors compris qu’elle était au-dessus du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine et qu’elle entendait en fait le vrombissement des voitures le traversant.
Ce que Nathalie Lasselin veut faire avec cette odyssée aquatique urbaine, c’est familiariser les Montréalais avec le fleuve, eux qui le traversent si souvent sans vraiment le connaître. Elle veut aussi le documenter scientifiquement. Dans le cadre de son projet, elle prévoit d’ailleurs faire des prélèvements d’eau et de sédiments qu’elle soumettra à des chercheurs. Et elle souhaite faire connaître les 80 espèces de poissons qui circulent dans le fleuve autour de Montréal.
Et ces 70 kilomètres, Nathalie Lasselin les a d’abord parcourus à pied, entre autres pour vérifier quels endroits permettent d’y accéder. Elle constate alors que le fleuve est plus accessible aux Montréalais qu’on ne l’imagine. Elle y rencontre d’ailleurs de nombreux pêcheurs, qui ne pourraient pas clore leur journée sans y avoir au préalable taquiné le poisson.
Plastique omniprésent
Selon elle, le fleuve n’est pas nécessairement plus sale qu’il l’était dans les années 1970. L’usine d’épuration des eaux montréalaise est d’ailleurs assez récente. Et avant sa construction, précise-t-elle, les Montréalais envoyaient tout bonnement leurs eaux usées directement dans le fleuve. Or, si l’eau circule, elle se rend forcément quelque part. Les eaux usées des Grands Lacs passent donc par Montréal, pour se diriger ensuite vers Québec…
« Environ 80 % de notre eau potable, de l’eau du robinet, vient du Saint-Laurent, dit-elle. Et toutes nos eaux usées y retournent après traitement. Dans tous ces traitements, il reste des choses qu’on ne peut pas traiter. »
Aujourd’hui, la plongeuse s’inquiète surtout des traces que nos médicaments laissent dans l’eau, sans qu’on en soit conscients. « Les problématiques changent, ne sont plus à la même place. La quantité de choses qui se retrouvent dans les toilettes, contraceptifs, ibuprofène, qui n’ont pas d’affaire là, c’est incroyable ! », dit-elle. Elle se scandalise aussi de l’usage abusif des bouteilles d’eau de plastique, qui encombrent ensuite l’environnement jusqu’au fin fond du fleuve. Lorsqu’elle y plonge, elle y voit non seulement des salamandres, mais quantité de bouteilles et de sacs de plastique, ainsi que nombre de cartes de crédit, d’emballages de nourriture et autres déchets produits par les humains.
Les collègues de Nathalie Lasselin ont par ailleurs comme éthique de « ne rien prendre sur place que des images et de ne rien laisser que des bulles ». « On essaie d’être le plus en harmonie possible et d’avoir le moins d’impact possible sur l’environnement qu’on visite. »
En parcourant une telle distance, Nathalie Lasselin ne va pas seulement réaliser un exploit sportif. Ce qu’elle souhaite démontrer, c’est que le fleuve demande qu’on s’intéresse intensément à lui sans en détourner son attention.
« Peut-être qu’on est capables de se le réapproprier, qu’on soit au nord, au sud, ou sur l’île […] Si on ne s’engage pas pleinement. Il se passera quoi ? Souvent on se fait dire “c’est trop tard” . »