«Ailleurs»: Québec, ville surréaliste

«Ailleurs» porte sur l’amitié entre deux jeunes de 15 ans qui prennent la route.
Photo: K-Films Amérique «Ailleurs» porte sur l’amitié entre deux jeunes de 15 ans qui prennent la route.

On commence à sentir plus fortement la montée d’une nouvelle vague de cinéastes québécois mise en oeuvre en partie par Xavier Dolan, désormais en plusieurs voix notables. Fils de la ville de Québec, Samuel Matteau est de ceux-là, comme Sophie Dupuis avec son Chien de garde. Dans les thématiques et le style, ce quelque chose de neuf en émergence… Le père, ou son substitut, poursuivi dans les films de leurs aînés, est désormais tué. L’influence du cinéma direct, qui a tant marqué notre septième art, se fait moins marquée, au profit d’un univers plus onirique et rythmé, collé au nouveau millénaire.

Ce courant d’air se révèle particulièrement sensible dans Ailleurs (d’abord nommé Squat), premier long métrage de Matteau, après sa série Web et des courts métrages remarqués, Chargé, entre autres, si percutant.

Jamais la ville de Québec, de Saint-Roch au Vieux-Québec en passant par les abords du pont et Sillery, n’aura été filmée avec une telle charge de poésie insolite que dans cet Ailleurs, mettant particulièrement à profit la magie visuelle de la rue Sous-le-Cap. Même si les poncifs propres au récit initiatique adolescent — une adaptation libre du scénariste Guillaume Fournier d’un roman de Paul Rousseau — sont au poste, cet Ailleurs, porté par la caméra de François Gamache, ses cadrages, ses éclairages exceptionnels, séduit par sa beauté, son lyrisme de la zone, son désir d’être ailleurs justement. Le petit budget de cette production ne déteint en rien sur ses exigences techniques, même si le jeu d’ensemble des comédiens eût gagné à plus de cohésion.

Ce film porte sur l’amitié entre deux jeunes de 15 ans qui prennent la route après que Samu (le toujours charismatique Théodore Pellerin, aux côtés du plus fragile Noah Parker) a poignardé son père. Entre leur banlieue de Québec et le squat où vivent des jeunes de la rue, une série de rencontres — comme l’exige le genre de l’oeuvre initiatique —, des découvertes amoureuses et des heurts dans leur relation les aideront à trouver leur individualité.

D’abord réaliste, l’atmosphère du film, au cours du voyage, change de tonalité pour pénétrer un univers parallèle. Le profil oblique de Théodore Pellerin ressemble à celui d’Emmanuel Schwartz, qui campe ici un « méchant », vendeur de drogue claudiquant criant vengeance après avoir été volé par « la belette », démerdeur à dégaine de voyou joué avec aplomb par Gabriel Cloutier Tremblay. Tous ancrés dans un monde semi-rêvé porté par un vrai regard de cinéaste.

Bonne idée que d’avoir fait incarner un clone de Pops par le dessinateur Claude Robinson, figure de résilience et d’humanité. Le film demeure quand même surtout à hauteur d’enfants et d’adolescents, filles et garçons en autarcie dans leur quasi-grotte de clair-obscur apparemment sortie de l’univers du conte. Certains membres du Squat basse-ville jouent des figurants, mais le ton n’est plus réaliste, toujours décalé et surréel.

On salue la direction artistique de Grégoire Steunou-Dutheil et les costumes de Sébastien Dionne venus nourrir ce climat d’étrangeté, grand atout du film avec ses mérites visuels et musicaux qui désignent Samuel Matteau et ses comparses comme de brillants talents à suivre.

Ailleurs

★★★ 1/2

Drame urbain de Samuel Matteau. Avec Théodore Pellerin, Noah Parker, Emmanuel Schwartz, Christian Michaud, Gabriel Cloutier Tremblay. Antoine Desrochers, Clémence Dufresne- Deslières. Québec, 2018, 98 minutes.