Le cinéma Quartier Latin passe sous la coupe de MK2

L’exploitant de salles MK2 pose son enseigne à Montréal. Le groupe français, très ancré à Paris avec dix cinémas et d’autres en friche, prendra la barre du cinéma Quartier Latin au centre-ville (dix-sept écrans), coin Emery et Saint-Denis, le 1er septembre. L’entente est paraphée, assure son directeur.
Présent jeudi à Montréal, Nathanaël Karmitz, à la tête de l’entreprise fondée en 1973 par son père, Marin, dit vouloir présenter des films québécois, français et internationaux, si possible sous-titrés, de qualité mais aussi populaires, dans un cadre de vie agréable et stimulant, animé avec des cours, des conférences, une saison culturelle de débats et découvertes. Il veut travailler avec le milieu des jeunes créateurs et du court métrage, misant sur l’accueil, selon une formule établie.
« Il ne s’agit pas d’un achat, mais d’une fin de bail, explique le président de la direction de MK2. Cineplex Odeon est locataire du bâtiment. » Le cinéma Quartier Latin, plus vieux multiplexe de Montréal, avait perdu la moitié de sa clientèle depuis cinq ans, à travers la crise de la cinéphilie et faute de s’être adapté à un univers en mutation. Son bail expire le 1er septembre et Cineplex continuera d’opérer d’ici là.
Sauf que la passation des pouvoirs risque d’être houleuse, car la chaîne proteste : « Cineplex exploite le cinéma en vertu d’un bail et a été prise de court par l’annonce d’aujourd’hui [jeudi] de MK2. Tout continue comme avant et Cineplex continuera à exploiter le cinéma conformément à son bail », envoie dire l’exploitant à travers la boîte de communications Hill + Knowlton Strategies.
Tout le quadrilatère, de la Cinémathèque québécoise au Quartier Latin, est la propriété de France Film, que son directeur du développement, Jean-Claude Chabot, veut revitaliser, après sa dynamisation du Théâtre Saint-Denis. France Film est impliquée dans la présente entente, à titre de partenaire très minoritaire.
Le projet ira manifestement de l’avant.
« C’est avec enthousiasme, et après avoir considéré plusieurs partenaires, que nous accueillons la firme française MK2 pour mener à bon port notre projet de relance du pôle Quartier Latin au coeur du Quartier des spectacles », soutient Jean-Claude Chabot.
MK2 cherchait à s’établir à Montréal depuis quelques années, visa et renonça à Excentris en 2016 avant de mijoter des projets de construction ailleurs. La boîte s’est associée en 2017 avec le distributeur Charles Tremblay pour fonder MK2 Mile End — devenu le premier distributeur français au Canada —, assurant son ancrage en nos terres.
Nathanaël Karmitz affirme que la restauration du Quartier Latin, au coût de 3 millions, se fera avec le concours d’architectes montréalais. « Les travaux, qui ne devraient pas durer plus de deux mois, commenceront le 1er septembre, et se feront par phases. L’objectif est de ne pas fermer le cinéma, ou très brièvement. »
Un espace voué à la réalité virtuelle sera aménagé au troisième étage. Au rez-de-chaussée, les arcades de jeu disparaîtront pour faire place à une aire ouverte : restauration de qualité, boutique de livres, de DVD et d’objets dérivés cinéma. « On va tout refaire, assure le président de la direction. Le lieu manque d’âme et de vie. »
Il trouve à la métropole québécoise un grand dynamisme, célèbre ses festivals et ses créateurs de pointe : Xavier Dolan, Moment Factory, Félix Paul. « Mais le cinéma est le maillon faible, ayant perdu des distributeurs et des spectateurs en une spirale descendante. Montréal est une ville francophone, ouverte sur le monde, multiculturelle, remplie d’étudiants, prête pour une nouvelle expérience cinématographique. »
Des mandats complémentaires
« Au moins, il n’y aura pas une autre fermeture de salles à Montréal avec celles du Quartier Latin, réagit Mario Fortin, directeur du Beaubien et du Cinéma du Parc. C’est la bonne nouvelle. Je n’ai pas peur pour mes cinémas, car on s’est bâti une clientèle fidèle. Il y a encore de la place. On manque de salles depuis que Le Parisien et Excentris sont fermés. Tant qu’on se partage la tarte de façon équitable… »
Marcel Jean, le directeur de la Cinémathèque québécoise près du Quartier Latin, voit dans la transaction un changement de paradigme dans l’exploitation cinématographique à Montréal. « Ce nouveau joueur possède une conception totalement différente de tout ce qu’on connaît, beaucoup basée sur l’animation et la médiation culturelle, donc plus proche de ce que nous faisons ici, à la Cinémathèque. Nos mandats sont complémentaires. Il va aider à établir le pôle cinéma du Quartier des spectacles. MK2 embrasse un champ plus vaste qui peut s’insérer dans la Place des Arts, Le Musée d’art contemporain et BAnQ. À Paris, le rayon de MK2 va de l’histoire de l’art aux leçons de cinéma en passant par un apprentissage culturel. Nous allons collaborer avec eux dans l’enthousiasme. »
Nathanaël Karmitz assure ne pas se positionner en concurrent qui veut perturber le milieu ambiant, mais travailler de concert. « On vient de Paris, la ville qui compte le plus de cinémas au monde, et nous observons que plus le marché local est fort et diversifié, meilleure est la réception du public et moins grande sa dépendance au cinéma américain. »
Les plateformes maison n’effraient guère celui qui croit à la force de l’expérience collective : « On peut être abonné à tous les Netflix du monde, il reste que, comme disait Charlie Chaplin, “le film est fait pour faire rire et pleurer ensemble durant une heure et demie”. »
MK2 s’était déjà impliqué comme distributeur français de films de Xavier Dolan (aussi pour son prochain long métrage québécois Matt et Max). Il coproduit le film de Monia Chokri La femme de mon frère, en cours de tournage à Montréal, a développé des affinités avec le Québec. La maison française, qui possède des tentacules en Espagne et à Strasbourg, garde ici l’oeil sur l’acquisition du cinéma Empress dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, et les pourparlers vont bon train.