Mathieu Amalric et la spiritualité des musiciens

Le réalisateur Mathieu Amalric et le compositeur John Zorn (sur la photo) sont amis depuis une dizaine d’années.
Photo: Festival international du film sur l’art Le réalisateur Mathieu Amalric et le compositeur John Zorn (sur la photo) sont amis depuis une dizaine d’années.

La musique est à l’honneur au Festival international des films sur l’art (FIFA, jusqu’au 18 mars), qui a invité le réalisateur et acteur Mathieu Amalric à présenter ses deux récents documentaires, l’un sur le compositeur et saxophoniste américain John Zorn, l’autre sur la chef d’orchestre et chanteuse d’opéra Barbara Hannigan — le dernier chapitre de ce que l’on pourrait d’ailleurs qualifier de « docu-triptyque » autour du travail de la réputée musicienne canadienne. Ajoutez à cela son drame Barbara paru sur nos écrans en novembre dernier, et c’est comme si le réalisateur n’en avait que pour la musique ces temps-ci. Un de ces « hasards de la vie qui n’en sont pas vraiment », estime Amalric, joint à Paris plus tôt cette semaine.

« Enfant, j’ai fait du piano ; je n’ai pas eu la rigueur de continuer, donc j’ai fait du cinéma ! » explique Mathieu Amalric, figure majeure du cinéma français des trente dernières années, devant ou derrière la caméra — nommons seulement ses rôles dans Le scaphandre et le papillon de Julian Schnabel (César du meilleur acteur en 2005) ou celui de l’adversaire de James Bond dans Quantum of Solace de Marc Foster (2008), ainsi que ses trois mises en nomination à la dernière cérémonie des César pour son long métrage autour de l’icône de la chanson française Barbara (pour le meilleur scénario, le meilleur réalisateur, le meilleur film).

Ses trois récents films sur Barbara Hannigan, ainsi que celui sur son ami John Zorn, ont en commun la candeur du regard qu’il porte sur ces musiciens au travail. « Je trouve que les gens sont beaux au travail, surtout les musiciens, les gens que j’admire le plus au monde. Pourquoi ? Parce que, en regardant Zorn et Barbara [Hannigan] travailler, on reconnaît quelque chose de l’athlète, donc de la précision, de l’exercice. C’est être sans cesse dans la répétition, chauffer son instrument, être performant, et avec ça trouver quelque chose qui touche à l’âme, qui évoque la spiritualité. » Dans le regard d’Amalric se découvre même un lien entre John Zorn, jazzman de l’avant-garde, et la soprano Barbara Hannigan « par leur manière de se mettre en danger, de chercher des choses étranges et d’être tellement habités par leur musique ».

Ce « cycle musical », pour l’appeler ainsi, dans le travail de réalisation d’Amalric débute en 2015 avec C’est presque au bout du monde, une commande de l’Opéra national de Paris. Regard intime, presque impudique, sur Hannigan, spécialiste de la musique contemporaine mondialement reconnue.

Un corps

 

« J’avais imaginé quelque chose, presque un fantasme : d’où ça sort, la voix d’un corps ? Cris de douleur, de jouissance, les sons de la voix deviennent complètement organiques. Quand j’ai rencontré Barbara, elle m’a dit : “ Ben vous savez, je ne dois pas seulement travailler le chant, je dois aussi chauffer ma voix. ” Soudain, je me suis retrouvé devant elle, seul avec ma caméra, à assister à quelque chose… de pire que l’intime. Je vois cette femme qui cherche avec ses mains, dans son corps, son bas-ventre, où ça vibre. On est tombés amoureux, tout simplement, il y a trois ans, en faisant ce film. Elle est dans ma vie, elle enchante ma vie, c’est un miracle. »

Le court métrage Music Is Music que présente le FIFA est la suite du sensuel premier. Cette fois, c’est la chef d’orchestre que l’on découvre, alors qu’elle répète auprès de l’ensemble Ludwig en vue de l’enregistrement de la suite Lulu du compositeur autrichien Alban Berg. On sent dans ce film toute l’admiration que porte le réalisateur à son sujet chanteuse « qui devient chef d’orchestre, son corps se tournant cette fois en direction de l’orchestre. Elle qui le dirige et désire le faire chanter, pour découvrir l’instrument dans la voix et la respiration. Il y a aussi un peu de ça, chez Zorn. »

Presque au hasard

 

Son ami John Zorn, il l’a rencontré au festival Jazz à La Villette il y a presque dix ans, quand celui-ci cherchait un récitant pour l’accompagner dans une performance du Cantique des cantiques. « La semaine suivante, se rappelle Amalric, je devais aller à New York pour accompagner Alain Resnais. Zorn m’avait dit : appelez-moi… »

Deux ans plus tard, la chaîne Arte contactait le réalisateur pour un projet au sujet du saxophoniste. Le tournage a commencé, « mais ça m’embêtait de faire un film pour la télé », alors le projet fut abandonné. La caméra, elle, n’a pourtant pas cessé de tourner. « En fait, on se filmait sans savoir pourquoi… » C’est Zorn lui-même qui a finalement suggéré à son ami de monter les images pour les présenter durant ses concerts. « J’ai ramassé tous les rushs accumulés depuis huit ans, on a travaillé tout ça, avec la merveilleuse Caroline [Detournay], monteuse géniale de ce film. »

Discret, caché dans les coulisses, en répétition ou en concert avec Zorn et ses multiples projets musicaux, Mathieu Amalric croque l’inépuisable saxophoniste en montrant sa passion, son humour, « son espièglerie, son énergie incroyable », raconte le réalisateur. « Quelqu’un de pur et juste qui ne s’encombre de rien. C’est pour ça qu’on ne pouvait faire un film qui serait un commentaire sur sa musique : il n’aime pas les interviews, il ne les comprend pas, car pour lui, dire des choses [autrement qu’en musique], c’est trop. »

Une suite à ce film est déjà en préparation ; elle sera présentée à Lisbonne en juillet, durant un festival où Barbara Hannigan performera en première mondiale une oeuvre composée expressément pour elle par John Zorn.

Samedi 10 mars, 20 h, au Musée des beaux-arts de Montréal ; la rencontre avec Mathieu Amalric sera animée par Jennifer Alleyn et Anita Hugi.

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