«Isla Blanca»: Mathilde est revenue

Mathilde est revenue, comme dans la chanson de Brel. Un retour au bercail que sa famille espérait depuis des années sans plus y croire vraiment. Alitée, sa mère se meurt : cancer. À moins que ce soit le chagrin ? Resté derrière, son petit frère est partagé entre reconnaissance et rancoeur. Quant à son père, il est tellement saisi qu’il ne sait que dire, que faire. D’autant qu’après avoir fugué huit ans plus tôt à l’âge de 16 ans, Mathilde rentre en annonçant d’office son intention de repartir.
L’une des vertus du drame Isla Blanca, premier long métrage de Jeanne Leblanc, est que toutes ces réactions et les enjeux sous-jacents à celles-ci sont évoqués, suggérés. Jamais la cinéaste ne recourt à du dialogue explicatif, optant pour une approche implicite à une époque où l’explicite l’emporte trop souvent. Cela, par manque de confiance envers le spectateur, envers sa capacité — et son envie ! — de décoder, de méditer, etc.
L’intrigue n’en est pas moins limpide. Les raisons qui ont autrefois poussé Mathilde à s’en aller seront connues à la fin, après qu’une ambiguïté prenante eut plané.
Entre dureté de façade et blessure larvée, Mathilde s’accroche à son mystère, à son opacité.
Au plus près
Impartie d’un budget minuscule, Jeanne Leblanc a tourné cette contrainte financière à son avantage en concevant une oeuvre intime campée pour l’essentiel en un seul lieu, la maison familiale, et en s’en remettant par surcroît à une mise en scène de proximité.
Au plus près de l’héroïne, de son corps d’abord mal à l’aise de se trouver là, réunie avec cette mère à peine consciente, avec ce frère à peine connu, avec ce père à peine vu, la caméra révèle la progression psychologique de Mathilde à mesure que cette dernière se réhabitue, retrouve ses repères.
Les gros plans du visage changeant de la jeune femme partie de sa petite ville au profit de la grande où, on le devine, rien ne va plus, se succèdent, révélateurs de maintes tergiversations intérieures.
Douée Charlotte Aubin
Entourée de trois partenaires excellents, à savoir Théodore Pellerin (le frère), Judith Baribeau (la mère) et Luc Picard (le père), Charlotte Aubin s’avère prodigieuse. On la savait talentueuse, il n’empêche…
Sa composition est d’emblée à fleur de peau, dans une détresse évidente qui à la fois émeut et captive. On ne s’est pas sitôt demandé qui est Mathilde que l’on s’interroge sur les motifs de sa fuite, voire de ses fuites. Scène après scène, Charlotte Aubin module cette vulnérabilité, cette douleur, pour en extraire quelque chose comme de l’apaisement.
Ce qu’elle accomplit, son interprétation, est un privilège à regarder, à ressentir.
Un plus gros budget n’aurait pu acheter cela. À terme, il ne reste plus qu’à souhaiter qu’à l’instar de son héroïne, Jeanne Leblanc revienne à son tour, elle, avec un autre film.