Entretien avec le cinéaste André Forcier: trêve de nostalgie

André Forcier est capable de se remémorer à loisir. L’un des films dont il se dit le plus fier s’intitule justement Je me souviens. Des anecdotes incroyables mais vraies, touchantes ou cocasses, l’homme n’en manque pas. Or, alors que l’organisme Québec Cinéma s’apprête à lui rendre hommage afin de marquer le coup de ses 50 ans de carrière, excusez du peu, c’est avec un cinéaste plus enclin à contempler l’avenir que le passé que l’on s’est entretenu. Son prochain film, en l’occurrence, l’emplit d’un enthousiasme contagieux.
Cette reconnaissance de Québec Cinéma, il la reçoit avec un plaisir non dissimulé tout en avouant qu’il s’y attendait un brin, « demi-siècle » aidant.
« J’étais dû, crisse, lâche-t-il en riant. En réalité, ça fait quoi, 51 ans, que je fais ce métier-là ? J’ai commencé Chroniques labradoriennes en novembre 1966, pour le Pavillon de la jeunesse d’Expo 1967. »
Depuis lors, André Forcier a tourné 14 longs métrages, dont L’eau chaude, l’eau frette, Bar salon, Une histoire inventée et son favori, Le vent du Wyoming.
Ses personnages de prédilection ? Des marginaux et des gens de la classe ouvrière : rêveurs issus de familles volontiers excentriques.
C’est la signature Forcier. Comme il se plaît à le répéter : il n’a pas de manières, mais il a « une manière ». Entre réalisme magique et truculence poétique, son approche est farouchement originale.
Tout est possible
Cela promet d’être également le cas avec La beauté du monde, son prochain film. « Il y a cet acteur avec qui j’aime beaucoup travailler : Roy Dupuis [Les États-Unis d’Albert, Je me souviens, Coteau rouge]. Après Embrasse-moi comme tu m’aimes, où il a un second rôle, je lui ai dit que je voulais lui réécrire un premier rôle. Le projet a pris forme à partir de ce désir-là. »
On y suit un apiculteur, jadis agronome à la solde d’une multinationale à la Monsanto, sur le chemin de la rédemption et de la fabrication d’un miel « divin ». Entre ici en scène le frère Marie Victorin (revenu dans l’actualité tout récemment !) dans une intrigue pourtant campée dans le présent. Tout est possible : c’est du Forcier.
« J’ai hâte. Yves Jacques, un acteur que j’estime énormément, jouera Marie Victorin qui revient sur Terre parce qu’il s’emmerde au Paradis. Il ramène avec lui des graines cosmiques qui donnent des fleurs lumineuses. » Tout est possible… bis.
Aléas institutionnels
La beauté du monde en est à l’étape critique du financement. Fort d’échos positifs, André Forcier espère des réponses favorables. À cet égard, de sa longue expérience, le réalisateur tire entre autres constats la nécessité d’un meilleur soutien aux institutions.
« C’est très difficile : Téléfilm est sous-financé. Au fédéral, on fait des passe-droits à Netflix, mais on néglige depuis des années le budget de Téléfilm. Quant à la SODEC, Québec ne l’aide pas davantage. Le budget dédié au cinéma rapetisse chaque année. Ça contraint les fonctionnaires qui oeuvrent là à faire des choix très difficiles. Je ne crois pas qu’il faille critiquer les institutions. Il faut plutôt attaquer les gouvernements. »
En attendant, le cinéaste va de l’avant et planifie un tournage cet été, question d’être fin prêt le cas échéant.
Écrire en famille
On l’écoute donner des détails sur La beauté du monde, et on le sent animé, passionné : il veut tourner avec son monde ce film écrit en famille. Car le cinéma, c’est un prolongement de sa maison, une extension de lui-même. C’est d’autant plus évident dans ce nouveau film.
« C’est très népotique, plaisante le cinéaste. J’ai écrit le scénario en collaboration avec mes fils, ma femme et mon cousin… J’ai eu du fun à l’écrire, et j’espère avoir du fun à le tourner. Mon gars Renaud, il a gagné une douzaine de concours de poésie sous différents pseudonymes ; il est secret. Mon aîné, François, il a un beau sens des dialogues et il m’a aussi initié à l’univers punk. Il est important au sein du groupe Mise en demeure. D’ailleurs, la musique punk va avoir une place enviable dans le film. C’est nouveau, pour moi. »
Et d’autant plus excitant, se réjouit-il.
Toujours moderne
Mais d’ici là, il y aura ce prix Iris hommage remis lors du Gala Québec Cinéma, le 3 juin. On célébrera en cette occasion une carrière, une vision, dont la place est depuis longtemps assurée dans l’histoire du cinéma québécois. Ce faisant, on reviendra sur un parcours parsemé d’embûches. Tel est le lot de maints cinéastes d’ici, on le sait, mais il n’empêche, le tribut de la singularité est parfois bien lourd.
Ces honneurs, rendus pendant que le cinéaste est non seulement actif, mais au faîte de quelque chose comme un deuxième âge d’or, n’en apparaissent que plus doux.
Qui plus est en sachant qu’André Forcier voue encore au cinéma, au septième art, un respect et un amour profonds. « Je ne sais rien faire d’autre ! Il y a eu des périodes de remises en question, c’est vrai… Le passage de l’argentique au numérique m’a fait très peur. Comme d’autres “vieux”, j’entrevoyais la fin du cinéma, pour finalement me rendre compte que tourner en numérique, c’est formidable aussi. Faut être ouvert. »
De conclure André Forcier : « Moi, je ne suis plus nostalgique. Ça ne veut pas dire que je me modernise pour autant. La raison étant que j’ai toujours été moderne. »
«Au clair de la lune» en version restaurée
Ce mercredi 28 février à 19h30, les Rendez-vous Québec Cinéma présentent en collaboration avec Éléphant mémoire du cinéma québécois la version restaurée du film Au clair de la lune, sorti il y a 35 ans. André Forcier y relate l’amitié entre deux marginaux, dont un albinos joué par Michel Côté sur fond de bowling. Fruit d’une production compliquée, le film est l’un des beaux crus du cinéaste.