«Pour vivre ici»: chronique d’une résurrection annoncée

Pour un artiste revendiquant son agnosticisme, difficile de trouver cinéaste plus catholique que Bernard Émond, une posture présente dans tous ses films, ses fictions (Contre toute espérance, Le journal d’un vieil homme) comme jadis ses documentaires (Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces). Cette empreinte culturelle traverse Pour vivre ici, titre évoquant l’ancrage au territoire, celui du Québec, mais sans doute aussi l’écriture de Paul Éluard, dont le poème éponyme ressemble à la bougie d’allumage de ce périple hivernal motivé par les affres du deuil.
Ce n’est pas non plus la première mort, symbolique ou véritable, à enrober ses personnages : meurtres, suicides, maladies foudroyantes ou celles liées à un long parcours de vie ponctuent la trajectoire de ces êtres en quête de sens prenant souvent le large. En cela, Monique (Élise Guilbault, quatrième film avec Émond, la même sobriété dans la continuité) ne diffère en rien de ses semblables, devenue veuve d’un homme que tous décrivent comme bon, mais que nous ne verrons jamais, si ce n’est étendu, immobile, sur le plancher de son petit campement du bout du monde.
Ses deux enfants (Danny Gilmore et Marie Bernier) trouvent que Baie-Comeau, c’est aussi le bout du monde, même s’ils n’osent le dire ouvertement à leur mère, femme sensible et futée. À peine débarqués pour les funérailles, ils devront repartir, laissant Monique marcher seule « dans une ville où personne ne marche », renouant avec son ancienne belle-fille, Sylvie (Sophie Desmarais), présence qui nous fait comprendre, à mots couverts, que cette veuve porte en elle une autre absence, encore plus lourde.
Tout comme celle qu’elle incarnait dans La neuvaine et La donation, cette âme fragile défendue par Guilbault prend le large, d’abord pour retrouver ses enfants à Montréal, carriéristes et superficiels comme ceux d’un film de Denys Arcand. Mais c’est à la faveur d’une conversation avec Sylvie, nostalgique d’un lieu où le fleuve peut être admiré sans contraintes, qui pousse Monique plus avant, vers son enfance, dans le nord de l’Ontario, là où les traces de la langue française et de la culture catholique s’effritent. Un voyage sur les ruines de son passé, et peut-être aussi de tout un peuple, en accord avec la vision quelque peu pessimiste du cinéaste.
Il semble ouvrir une brèche du côté de l’espoir en usant d’une autre métaphore catholique, celle de la résurrection, se mariant à la fois avec la blancheur de l’hiver et la présence bienveillante de deux êtres chers (qui ne sont pas de sa famille ni entièrement tricotés serrés, et ça ne relève pas du hasard). Pour vivre ici évoque avec délicatesse, sans éclats mélodramatiques, l’histoire de cette renaissance après la mort de ceux qu’on aime, et une radiographie de l’effritement des liens familiaux, le tout décrit par la voix mélancolique d’Angèle Coutu, narratrice distanciée de ce road-movie aux accents parfois mystiques.
Observateur des beautés de la ruralité et de la nature dans leur dépouillement quasi absolu, Bernard Émond contemple des paysages dont le calme et l’immensité ne lassent jamais. Paul Éluard aurait reconnu la filiation, surtout dans ce chalet rustique, à la fois tombeau et source de vie : « Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné / Un feu pour être son ami / Un feu pour m’introduire dans la nuit d’hiver / Un feu pour vivre mieux. »