Fanny Ardant, par-delà le genre

Elle aura joué tant de femmes brûlantes depuis la fin des années 1970, Fanny Ardant : des reines et des impératrices, la Callas et la femme d’à côté, des amoureuses la plupart du temps. Sa brillante carrière, lancée aux côtés de François Truffaut dont elle fut aussi la dernière compagne, a fait d’elle un des visages phares du cinéma français. Une insolence dans le menton décidé, une sensualité dans la grande bouche rieuse qui tient aussi de la blessure. Elle est intense et généreuse en entrevue. À Paris, tout en chaleur, en coups de gueule et en enthousiasme.
Personne ne lui avait proposé auparavant un rôle de transgenre. De quoi bien sûr s’y lancer corps et âme : « jusqu’à l’avoir vampirisé », précise le cinéaste Nadir Moknèche, qui l’a mise en scène dans Lola Pater, à l’affiche chez nous dès vendredi prochain.
On voit de moins en moins l’actrice de Pédale douce et de La vie est un roman au grand écran. Fanny Ardant affirme avoir plusieurs casseroles au feu et des processus d’écriture en plan (elle avait réalisé en 2010 le long métrage Cendres et sang). La comédienne n’a jamais lâché le théâtre et n’accepte que les propositions à l’écran qui lui parlent. Rien à prouver de toute façon…
Lola Pater s’inspire de l’histoire de Bambi, danseuse transsexuelle d’origine algérienne qui défraya la chronique française au cours des années 50, courageuse militante à peu près seule au front en son temps. Le film aborde surtout la quête d’un fils (Tewfik Jallab), qui croyait son père mort avant de découvrir son changement de sexe, père femme en couple avec une autre. S’ensuit leur confrontation, puis l’acceptation.
Cette Lola pleine de pep et d’humour sur un ton de comédie, plaisait à Fanny Ardant par sa richesse et ses contradictions : « Ce n’était pas un rôle de performance, puisqu’il s’imposait comme femme dès le départ, précise-t-elle. Un film comme ça n’est pas reçu de la même façon dans les grandes capitales et en province, où la dimension humaine est plus présente. Là-bas, dans une boîte de nuit, une femme à la voix virile vous dit soudain : je m’appelle Éva… »
Tolérance et transmission
Certains critiques ont reproché à Nadir Moknèche de n’avoir pas offert le rôle à une vraie transsexuelle. Soulevant ainsi le courroux de l’actrice et du réalisateur. « Comme quoi, il y a autant d’abrutis chez les hommes que chez les femmes, s’écrie Fanny Ardant. La guerre des minorités, c’est abominable. Faut-il être Médée ou Macbeth pour les incarner ? Je pourrais jouer une tueuse à gages, une terroriste et pas Lola, allons donc ! »
Le cinéaste n’est pas d’accord avec ses détracteurs non plus : « Jamais la vraie Bambi ne m’aurait reproché ça. On parle ici d’une fiction et d’une interprète. En plus, c’est le film dont je suis le plus proche. J’ai perdu mon père à trois ans en me demandant parfois : “S’il n’était pas mort…” L’idée était de montrer hors clichés l’humanité du personnage, loin des cabarets, dans une normalité amoureuse et professionnelle. »
Moknèche, d’origine algérienne, a vécu à Paris, à New York et à Alger. Quand son dernier film, Délice Paloma, histoire d’une mère maquerelle à Alger, n’a pas obtenu le visa d’exploitation au pays, il s’est juré de ne plus y mettre les pieds et tourne depuis à Paris.
Au cours de sa jeunesse à Pigalle, il avait croisé des transgenres qui s’intéressaient à la politique, étudiaient l’italien. Ce qui fit craquer ses préjugés. Les gens qui changent de sexe prennent de plein fouet l’intolérance des autres. Il en eut honte.
Fanny Ardant avait vu de son côté le film Une femme fantastique, du Chilien Sebastian Lelio, suivant le parcours d’une transgenre. « Je n’y ai pas trouvé de supplément d’âme, souligne-t-elle. On reste voyeurs. Il est comme une bête de cirque. Tout ce que je ne voulais pas pour ma Lola, dont je respecte le courage. »
L’actrice française dit comprendre les êtres humains qui vivent à fond : « Or qui désire tout dans la vie prend des coups. C’est ce qu’a compris le fils de Lola. Il ne va pas s’ennuyer. Son père n’est pas un beauf et sa trajectoire renvoie à l’intelligence du fils. Ce que la génération du dessus doit léguer, c’est la tolérance, l’amplitude. »
Fanny Ardant affirme ne s’être jamais définie par son métier ou par sa classe sociale, seulement par la passion. « Tout le reste n’est que littérature, dit-elle dans le sillon de Verlaine. L’art prend la place que l’amour laisse vacante, en nous décevant. Mais moi, j’aime les gens qui persistent à attendre l’amour comme des fous. »
Cet entretien a été effectué à Paris, où Odile Tremblay était l’hôte des Rendez-vous d’Unifrance.