«Ouvrir la voix»: à l’écoute des femmes noires

Les témoignages dans le documentaire «Ouvrir la voix» sont bouleversants et allumés.
Photo: EyeSteelFilm Les témoignages dans le documentaire «Ouvrir la voix» sont bouleversants et allumés.

Amandine Gay l’assure et ça nous semble inouï que d’autres ne s’y soient pas plongés avant elle : Ouvrir la voix est le premier documentaire consacré uniquement aux femmes noires en France.

Un ange passe, car des femmes noires, la France en regorge et depuis longtemps. Mais la cinéaste, elle-même Afro-Européenne, adoptée dans une famille blanche, explique à quel point ce projet fut le parcours du combattant : « Quatre ans de ma vie, ou plutôt dix sur la longue durée, un investissement financier de mon conjoint et de moi-même. » Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) avait refusé d’y verser des euros. Qu’à cela ne tienne…

Photo: Enrico Bartolucci La cinéaste Amandine Gay

La trentenaire Amandine Gay est une militante afro-féministe, mouvement qui prend de l’ampleur en France, surtout en ces temps de prise de parole féminine. Et de m’expliquer à quel point sa trajectoire de vie tout entière fut nécessaire pour accoucher de ce film-là : une mère institutrice qui l’a lancée dans la vie avec des bagages, un diplôme de communications à Lyon, un cours au Conservatoire d’art dramatique à Paris, divers stages et apprentissages.

Or donc, ce documentaire de deux heures financé à compte d’auteur et par une campagne de participation publique, enfanté par sa boîte de production justement nommée Bras de fer, donne la parole à 24 femmes noires de Belgique et de France. Issues de l’histoire coloniale, elles parlent d’éducation, de sexualité, de stéréotypes incrustés, de religion, de beauté, d’homosexualité, de dépression, d’ostracisme, de fantasmes masculins à leur endroit. Aucune voix hors champ, mais des témoignages bouleversants et allumés servis par des femmes superbes.

« On se passe d’experts venus expliquer des parcours et des tendances sur un ton paternaliste. J’ai fait 45 préentretiens, explique la cinéaste. 24 femmes ont accepté d’être dans le film. Je voulais des témoignages à visage découvert. »

Comment on se perçoit soi-même en tant que personne noire, c’est le propos du film

Une construction sociale

En salles là-bas depuis le 11 octobre, Ouvrir la voix connaît un succès inespéré. Les médias s’en sont engoués, les salles sont pleines, toutes origines confondues : 15 000 entrées en France : le pactole, pour ce type de documentaire. Des spectateurs et spectatrices disent avoir vu leur vie se transformer grâce au film. D’autres ont changé leur conception des rapports interraciaux.

« La race est une construction sociale, estime Amandine Gay. L’identité noire rime avec les préjugés des autres. On fait attention pour ne pas être en retard, pour demeurer d’une propreté exemplaire, afin de ne pas nourrir les clichés plaqués sur nous. Comment on se perçoit soi-même en tant que personne noire, c’est le propos du film. »

L’une d’entre elles l’assure : « Si t’es Noire, tu dois en faire deux fois plus. » La cinéaste a voulu que ces femmes, interviewées une à une, se rencontrent lors de soirées chez elle et instaura un réseautage à demeure. Certaines sont devenues amies, continuent de communiquer entre elles. « Ça leur a montré aussi qu’elles n’étaient pas isolées, mais fortes et nombreuses. »

Son prochain film, en production, portera sur les personnes adoptées, avec images d’archives. « J’ai voulu éviter les enjeux politiques et économiques, montrés partout, pour repolitiser le sujet. Bien que ce soient surtout des familles de la classe moyenne supérieure qui adoptent des “racisés”, le problème demeure, car il est d’ordre existentiel. »

Chose certaine, Amandine Gay n’est plus cette inconnue à qui le milieu fermait la porte au nez. Plutôt une cinéaste attendue, qui a remporté un pari difficile, gagné le respect de ses pairs et montré qu’elle avait une vision du monde et des choses à dire. Pour l’avenir de son cinéma, ça change tout. On la reverra.

Amandine Gay sera par ailleurs ce vendredi à Québec au Clap, où une projection-débat aura lieu à 18 h 30. Elle fera ensuite un saut à Montréal, où une projection ciné-causerie aura lieu le mardi 6 février à 16 h 45 et à 20 h au pavillon J.-A. DeSève. Le film prendra l’affiche le 9 février.

Odile Tremblay a effectué cet entretien à Paris comme invitée des Rendez-vous d’Unifrance.