«Certains de mes amis»: Catherine Martin ou la quête lumineuse

Fait intéressant, Catherine Martin, qui confie être d’un naturel précis et organisé, s’est cette fois laissé guider par son instinct.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Fait intéressant, Catherine Martin, qui confie être d’un naturel précis et organisé, s’est cette fois laissé guider par son instinct.

L'argument du documentaire Certains de mes amis est tout simple. À tour de rôle, la cinéaste Catherine Martin pose son regard sur des proches ou des connaissances, tous des gens qu’elle admire, et les fait découvrir au spectateur. Juste ça. Mais c’est déjà beaucoup. Croqués dans leur pratique ou leur activité principale : le peintre François Vincent, la neuroscientifique Marie Dumont, le photographe Gabor Szilasi, la marionnettiste Louise Lapointe, le musicien Matthew Jennejohn, la documentariste Ginette Lavigne et le preneur de son Hugo Brochu.

Un à un, Catherine Martin les présente, chacun posant devant l’objectif, immobile, comme pour annoncer le portrait, comme pour préparer le regard, maître mot de l’exercice. « Le projet a démarré avec François, explique la cinéaste. C’est lui qui a peint les toiles qu’on voit dans mon film Trois temps après la mort d’Anna. On est devenus amis à partir de là et j’avais très envie de le filmer dans son atelier. Je n’envisageais toutefois pas un documentaire très long, mais une quinzaine de minutes… »

Puis, lui vint l’idée d’un groupe de portraits choisis, ceux-ci assemblés au moyen d’une mise en scène dépouillée, attentive. « Filmer des gens qui étaient "à ma portée" m’a permis de faire un grand pas, en cela que, pour la première fois en 30 ans de carrière, je me suis lancée dans un tournage seule, image et son. C’est-à-dire que je me suis occupée de la caméra, de la captation sonore, du montage, en plus de produire le film grâce à une bourse du CALQ. »

Je pense qu’au travail autant que dans la vie quotidienne, il y a des gestes qui tiennent du rituel. C’est mon côté presque religieux même si je ne suis pas croyante. Je crois dans cette répétition. Elle donne un sens à la vie et révèle la présence au monde des gens, leur engagement.

 

Rituels et engagement

Hormis ce défi professionnel, Certains de mes amis fut l’occasion pour Catherine Martin de creuser davantage un sillon entamé dans ses autres documentaires, tels Les dames du 9e et L’esprit des lieux (déjà avec Gabor Szilasi).

« Quand je fais du documentaire, j’aime par-dessus tout filmer les gens au travail, leurs gestes. M’approcher du travail de quelqu’un, c’est m’approcher de ce qui l’anime. C’est en outre redonner au travail un caractère sacré, par le cinéma. Je pense qu’au travail autant que dans la vie quotidienne, il y a des gestes qui tiennent du rituel. C’est mon côté presque religieux même si je ne suis pas croyante. Je crois dans cette répétition. Elle donne un sens à la vie et révèle la présence au monde des gens, leur engagement. »

Leur engagement, mais également leur passion, mot galvaudé auquel on ne manque pourtant pas de songer en observant ces « gens exceptionnels parce qu’ils sont comme tout le monde », pour reprendre la formule de l’auteure.

« C’est vrai qu’il s’agit d’un mot galvaudé, “passion”, mais c’est aussi vrai que c’est un mot qui a un sens. Je demeure convaincue que c’est possible de rester passionné toute sa vie par ce qu’on fait. C’est le cas de mes amis. Même Hugo, qui réapprend à vivre après un accident vasculaire cérébral, a gardé sa passion intacte… Je voulais montrer ça, tout en insistant sur ce que c’est que d’être dans un processus, ce que ça représente de labeur et d’investissement de soi. »

Lumière et émotion

Photo: Les Films du 3 Mars Le musicien Matthew Jennejohn

Fait intéressant, Catherine Martin, qui confie être d’un naturel précis et organisé, s’est cette fois laissé guider par son instinct. Cette approche permit à un fil conducteur de se dessiner en cours de production. Ainsi le thème du regard, inhérent au projet, ouvre-t-il sur celui de la lumière, celle qui irradie des sept participants et de leurs passions conjuguées.

La lumière que reproduit le peintre, celle qu’étudie la neuroscientifique, celle qui « traverse les ténèbres » par la musique, dixit Matthew Jennejohn. « Lorsque Matthew a dit avoir été transformé par la musique de Bach, ça m’a chavirée parce que ça rejoignait ma conviction que l’art fait du bien au monde. »

Il en fait certainement à Hugo Brochu qui, pour réapprendre à écrire, retranscrit les poèmes de son père André Brochu. De la lumière, cet homme en a plein les yeux.

Des choses magiques

 

Survenant à la fin, ce portrait-là remet d’ailleurs tous les autres en perspective et confère au documentaire un supplément d’émotion. « Ce qui est merveilleux en documentaire, c’est que, même si on connaît les personnes qu’on filme, même si on connaît les lieux, il arrive toujours des choses magiques. Avec Hugo, par exemple, l’idée d’aller le filmer pendant qu’il faisait du kayak est venue spontanément. À la fin, le plan n’est pas réussi, mais je ne pouvais pas placer ma caméra autrement. Sauf que ce qu’il disait était tellement inattendu et beau que je l’ai gardé. Je l’ai gardé parce que j’ai compris que c’est Hugo qu’on regarde, pas mon plan. »

Redécouvrir sa pratique

 

Compris, surtout, que ce rapport d’intimité que lui procurait la formule « femme orchestre » lui plaisait pour certains projets. Renouer avec le montage, art dont la cinéaste tâta à ses débuts, fut un autre aspect heureux de l’aventure.

« J’ai l’impression d’avoir redécouvert ma pratique », conclut Catherine Martin, rayonnante. Une preuve supplémentaire que, oui, c’est possible de « rester passionné toute sa vie pour ce qu’on fait ».

Certains de mes amis prendra l’affiche le 9 février.