Cinéma - Un parfum insolite
Il y a des films qu'on a envie de défendre malgré leurs défauts évidents. À cause d'une atmosphère qu'ils parviennent à créer, de la beauté des décors et des images, d'un souffle, d'un sentiment de mystère caché derrière eux. Aussi parce qu'on reconnaît une griffe au cinéaste qui les a engendrés. Le Québécois Stefan Pleszczynski nous avait donné en 1997 l'excellent moyen métrage L'Homme perché, réalisé avec des bouts de chandelle et beaucoup d'humour. On attendait avec hâte son entrée dans les ligues majeures du long métrage.
L'Espérance, dont le tournage fut difficile, n'est pas, hélas, l'oeuvre forte qu'on espérait, mais il dégage un parfum insolite qui colle à l'univers de ce cinéaste, dont le talent ne demande qu'à éclore. Déparé par plusieurs invraisemblances et des mauvais raccords, le scénario est pourtant raboudiné à la va comme je te pousse. Il lui manque des liens explicatifs, une cohérence, des situations qui tiennent toujours debout. Dommage! Car il y a de belles choses: un climat saugrenu, surtout.Le cadre du film est enchanteur: un petit village gaspésien maquillé en bled du temps passé. Cela dit, région éloignée pour région éloignée, côté histoire bien cousue et rythme dynamique, on est loin des prouesses de La Grande Séduction.
L'histoire est celle d'un village côtier perdu, baptisé L'Espérance, jadis cadre d'une tragédie minière qui a coûté la vie à plusieurs hommes du coin. Leurs veuves, des adolescents et quelques vieillards composent la faune locale, parmi laquelle débarque un Survenant diabolique (Patrick Labbé), bel étranger qui s'installe dans une maison abandonnée et sème le trouble autour de lui, en mettant son nez dans les malheurs d'autrefois.
Désir sexuel, quête de l'or: les sentiments exacerbés appellent le drame, qui viendra, bien entendu. Point positif: la présence de la jeune et très naturelle Esther Gaudet dans la peau d'Angela, une adolescente qui ressent ses premiers émois amoureux envers l'étranger, dont le coeur bat pour une autre. Mais Patrick Labbé a l'air trop sain pour le rôle machiavélique qui lui échoit.
L'intrigue se vit aussi à travers le trouble de Zak (Maxime Dumontier, attachant et troublant), ado et ami d'Angela, qui deviendra un homme à travers la série d'épreuves qui l'attendent. Isabel Richer incarne avec une force rugueuse et intense la veuve Corinne, flamme du nouveau venu. Une des plus belles scènes du film sera une fête de village dégageant charme et angoisse. Une des plus belles trouvailles: la tête de la statue du découvreur de l'Espérance, décapitée, frappée comme un ballon, oubliée sur la grève.
Chaque habitant du village vit à sa manière le malheur qui flotte sur les lieux, belles veuves sans hommes, adolescents désoeuvrés, vieux malheureux qui entretiennent un sentiment de culpabilité. Mais l'interprétation est inégale, et plusieurs rôles secondaires ne se justifient guère.
Avec un si beau village pour cadre, l'idée du polar en huis clos était intéressante, mais toutes sortes de pistes sont abandonnées en cours de route, comme celle d'un homme attaqué par le héros qui disparaît sans qu'on sache où. L'histoire a des trous. Ce qui n'empêche pas l'atmosphère de légende de flotter sur le film, en lui apportant une dimension magique qui ne demande qu'à s'imposer au-delà des maladresses de L'Espérance. Stefan Pleszczynski a eu un projet ambitieux, qui lui a çà et là glissé entre les doigts, au fil d'un tournage éprouvant, entre autres. Mais il possède un regard et un imaginaire qui devraient donner plus tard vraiment leurs preuves.