Cinéma - Nihilistes de banlieue

Les cinéastes indépendants américains devront bientôt ratisser de nouveaux territoires, car la banlieue, du moins celle qu'ils ne cessent de dépeindre sous ses aspects les plus morbides, est devenue aussi prévisible qu'un pavillon thématique à Disney World. Le parallèle selon lequel les façades proprettes des maisons servent surtout à camoufler la décadence d'une société hypocrite nous est encore servi dans The United States of Leland, de Matthew Ryan Hoge.

Il s'avère difficile d'être en total désaccord avec les nombreux constats déclinés par le cinéaste. Des familles éclatées à celles qui sont soudées par l'habitude et la respectabilité, des ravages de la drogue à ceux de l'indifférence mutuelle entre parents et enfants, le tableau n'a rien de réjouissant. Il l'est d'autant moins que la mise en scène convenue qui soutient cette chronique banlieusarde, assortie d'un détour en milieu carcéral, n'exerce qu'une tiède séduction. Combinée à son manque d'originalité patent et à des dialogues au ton faussement philosophique, elle accentue la mollesse de tous ces personnages paralysés par leurs névroses.

À défaut de vouloir secouer cette fadeur visuelle, le cinéaste s'amuse à entrelacer les fils de la narration, cherchant ainsi à créer l'illusion du suspense et le mirage de la complexité psychologique de son héros, jeune écrivain talentueux et auteur d'un crime aussi gratuit que crapuleux. Même si Leland P. Fitzgerald (Ryan Gosling) sait bien que tous attendent de lui une réponse logique pour expliquer son geste — il a tué à coups de couteau le frère handicapé de Becky (Jena Malone), une héroïnomane qui prétendait l'aimer — le garçon s'obstine à s'emmurer dans son silence.

Cet événement tragique sert de catalyseur, ouvrant toutes grandes les blessures des deux familles. La première menace d'éclater à tout moment, Becky cachant tant bien que mal sa dépendance, tandis que sa soeur Julie (Michelle Williams) s'ennuie dans les bras d'Allen (Chris Klein). Chez les Fitzgerald, la rupture est consommée depuis longtemps. Le père, un écrivain célèbre (Kevin Spacey), entretient peu de liens avec son fils et son ex-épouse (Lena Olin), elle-même plutôt distante avec Leland. Il n'y a finalement que Pearl (Don Cheadle), un professeur travaillant au pénitencier où le garçon est détenu, à s'intéresser vraiment à lui, même si ses motifs n'ont rien d'altruiste. Ayant des prétentions d'écrivain, surpris de découvrir qui est l'illustre père de Leland, il flaire à la fois une bonne histoire à raconter et un moyen d'entrer en contact avec un auteur qu'il admire.

Même si Matthew Ryan Hoge déploie tous les subterfuges pour briser la linéarité du récit, lui permettant ainsi d'en camoufler l'indéniable banalité, The United States of Leland souffre de ce regard distancié jusqu'à la profonde indifférence, ainsi que de ce ton lancinant adopté par Ryan Gosling, narrateur et figure centrale de l'intrigue. Les nombreux passages entre le passé et le présent, l'enchevêtrement des points de vue sur la même tragédie, l'amoncellement d'incidents anecdotiques — les difficultés amoureuses de Pearl, la liaison de Leland avec une femme plus âgée, le coup d'éclat d'Allen après sa rupture avec Julie — représentent autant de diversions inutiles.

À cette morosité morale si caractéristique d'un certain cinéma indépendant américain, et dont The United States of Leland ne représente qu'un exemple parmi tant d'autres, se superpose, étrangement d'ailleurs, une distribution de haut niveau, digne des productions les plus ambitieuses. La présence de Kevin Spacey, qui reprend ici ses manies d'arrogant cynique, s'explique par sa position de producteur du film.

Il a sans doute su convaincre quelques distingués camarades, dont le toujours étonnant Don Cheadle et la trop rare Lena Olin, de cautionner ce projet par leur seule présence. Mais il ne suffit pas d'aligner une distribution impressionnante pour pallier les manques évidents d'un film empêtré dans un nihilisme version banlieusarde, un récit aux allures de puzzle incomplet et une vision esthétique aussi provocante qu'une nouvelle construction domiciliaire.

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