Cinéma - Les vingt ans de Vues d'Afrique
Du 15 au 24 avril, on célèbre à Montréal le vingtième anniversaire des Journées du cinéma africain et créole engendrées par Vues d'Afrique: 180 oeuvres sont au programme, mais aussi de la bouffe, des spectacles et des défilés de mode.
Il y a vingt ans, pas grand monde à Montréal avait entendu parler de cinéma africain. À peu près jamais diffusé, sauf parfois par Rock Demers au cinéma et par des reportages misérabilistes au petit écran, la culture du continent noir ne franchissait guère ses frontières. C'est ce que constataient Ousseynou Diop et Gérard Le Chêne, que ce trou noir culturel désolait. Ils se sont alors dit: pourquoi pas une semaine de cinéma africain?À Ouagadougou, au Burkina Faso, existait déjà un festival de cinéma, duquel ils reçurent de l'aide et des films. Même réponse enthousiaste de la part de Tahar Cheria'a, fondateur des Journées cinématographiques de Carthage, en Tunisie, qui leur a prodigué coup de pouce et conseils. «Les cinéastes africains ont davantage besoin d'argent que de médailles», leur a-t-il affirmé. Les fondateurs de Vues d'Afrique ont retenu la leçon et offrent des prix en argent à leurs lauréats. Difficile de tourner dans des pays où le cinéma est un vrai luxe.
«À l'époque, tout était plus facile qu'aujourd'hui, évoque le directeur de Vues d'Afrique, Gérard Le Chêne. Un coup de fil et on obtenait des subventions.» Au Complexe Guy-Favreau, les films ont joué à guichets fermés. «On aurait dit que les gens attendaient ça, évoque Ousseynou Diop, aujourd'hui président de la manifestation. Ils voulaient voir du nouveau.»
Dès la première année, les Journées du cinéma africain avaient un volet créole. Quant aux films, ils étaient déjà accompagnés d'autres manifestations culturelles: danse, musique, littérature. Désormais, Vues d'Afrique orchestre des activités tout au long de l'année, en dehors du volet cinéma du printemps. Des colloques sont organisés, des ponts érigés, des questions graves discutées: le génocide au Rwanda, les problèmes d'Haïti, par exemple. Et puis, Vues d'Afrique a fait des petits, un peu partout en Europe. Ousseynou Diop se dit fier d'avoir pu aider des réfugiés à trouver du travail, fier aussi d'avoir refusé toutes formes de censure, réclamées parfois par des représentants de divers gouvernements devant certains films-brûlots.
«En vingt ans, c'est la qualité des films qui a vraiment augmenté, précise Ousseynou Diop. Au début, l'Afrique avait de bons cinéastes mais également des réalisateurs débutants qui apprenaient avec des maladresses. Une vraie compétence s'est développée. Tout le monde veut des films africains aujourd'hui, même les autres festivals de Montréal. Ces films ont une écriture particulière, une couleur, un rythme lent qui leur est propre. Comme dans Yaaba d'Idrissa Ouedraogo, où une vieille femme traverse l'écran en un plan de dix-sept secondes, prenant tout son temps.»
Le Burkina Faso est le plus gros producteur de films africains, mais le Maghreb, la Tunisie notamment, tourne aussi. Ces oeuvres sont faites en coproduction, en général, surtout avec la France. «Il y a toujours un danger que le pays coproducteur impose ses recettes, précise Gérard Le Chêne. Les réalisateurs doivent demeurer vigilants.»
Il y a vingt ans, bien des films africains traitaient de l'éternelle lutte entre traditions et modernité. «Aujourd'hui, les droits de la femme et de l'enfant sont beaucoup abordés.»
Gérard Le Chêne espère qu'un jour son festival arrêtera de courir après la piastre et recevra enfin d'office un budget décent. Quant à Ousseynou Diop, il rêve du jour où les cinéastes africains et québécois partageront leurs univers, afin que le chant des muezzins résonne, pourquoi pas, à la porte d'un igloo.