«Le sens de la fête» — Le goût des hôtes

On imagine mal un acteur autre que Jean-Pierre Bacri dans le rôle d’un organisateur de mariages dont la patience a atteint depuis (trop) longtemps les limites du raisonnable, toujours sur le point d’éclater et ne se privant pas de le faire à l’occasion.
Dans Le sens de la fête, d’Olivier Nakache et Éric Toledano (Intouchables, Samba), on jurerait que ces derniers ont confié l’écriture de quelques scènes à Bacri et à sa complice Agnès Jaoui (Le goût des autres, Au bout du conte) tant on y retrouve cet humour ravageur et cette élégance qui les caractérisent. Tout comme eux, Nakache et Toledano abordent une foule de thèmes différents sans les traiter de manière frontale, en plus de poursuivre une véritable démarche de diversité ethnoculturelle qui atteint ici des sommets de charme, voire d’envoûtement dans sa conclusion.
Or, avant d’en arriver là, les 24 premières heures ne seront pas de tout repos, Max (le Bacri des grands jours) montrant dès le début des signes d’exaspération avancés. Tout se déglingue dès son arrivée dans un immense château, loué pour des noces démesurées où s’affrontent un jeune marié prétentieux (Benjamin Lavernhe), une subalterne survoltée (Eye Haidara), des serveurs à la compétence variable et un chanteur qui se croit la réincarnation de Johnny Hallyday au Stade de France (Gilles Lellouche en fait des tonnes). À cela se greffent une multitude d’intrigues de coulisses dignes des meilleurs films de Robert Altman, impliquant aussi un photographe pique-assiette (Jean-Paul Rouve) et une assistante aux amours secrètes (Suzanne Clément).
Est-ce que l’on se perd dans les méandres de ces tracasseries organisationnelles et psychologiques ? Pas le moins du monde, grâce à la présence solide, impériale, de Bacri, le centre et l’âme de cette agitation perpétuelle, d’une drôlerie toujours efficace, épinglant la ringardise des uns et la lâcheté des autres. Et à cela se superposent des blagues récurrentes sur les goûts plus que douteux des hôtes, qu’il s’agisse de discours pompeux ou de musique d’un autre âge, prétextes à de petits chocs de générations.
Tout cela pourrait se résumer à un impressionnant feu d’artifice, mais cette fête de l’humour et de l’esprit affiche un dosage parfait de moments burlesques, de pirouettes hystériques, et surtout d’échanges savoureux où le sens des mots, lui, prend toute son importance. Car le scénario est truffé de quiproquos et de malentendus générés par des personnages au vocabulaire limité (pour cause de paresse intellectuelle ou simplement d’origines ethniques diverses), entravé aussi par l’envahissement des nouvelles technologies, la bête noire de Max, un handicap qui fait mouche à tous les coups.
Dans une apothéose plus poétique que carnavalesque, Le sens de la fête maintient jusqu’à la fin un rythme sans faille et affiche un soin visuel rendant justice à la beauté des lieux, mais aussi au talent de cette impressionnante galerie d’acteurs de tous les âges et de tous les horizons, visiblement heureux d’avoir reçu l’invitation du tandem qui signe cette splendide réussite. Et nous de les observer avec délectation au milieu de ce magnifique fracas d’assiettes et d’ego.