La documentariste Kalina Bertin sur les traces d’un père fantôme

Kalina Bertin a nagé toute sa vie en eau trouble. Son père, qui a donné un faux nom sur son acte de naissance, a été assassiné en Thaïlande en 2006 par sa maîtresse de longue date, après avoir passé sa vie à escroquer des gens. Son frère et sa soeur souffrent de troubles bipolaires. Ce sont ces morceaux de sa vie que la jeune cinéaste de 28 ans tente d’assembler dans son documentaire Manic, présenté mercredi aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM).
« J’ai fait des études en cinéma pour réaliser ce film », dit la jeune femme en entrevue au Devoir.
Née sur l’île de Monserrat, où son père, de son vrai nom George Patrick Dubie, avait une maison, Kalina Bertin a déménagé à Montréal lorsque sa mère s’est séparée de lui. Elle n’a ensuite revu son père que quelques fois avant son décès. « J’adorais mon père », dit-elle. Les images d’archives qu’elle utilise de cette époque, toutes tournées par son père, montrent des enfants innocents jouant entre eux dans un environnement enchanteur. Un jour, vers l’âge de 15 ans, elle découvre dans les affaires de sa mère une coupure de journal, qui raconte que son père, George Patrick Dubie, a été le chef d’une secte, dans les années 1970, et qu’il a été condamné pour avoir organisé un réseau de voleurs. Plus tard, lorsqu’elle verra son frère et sa soeur souffrir de troubles bipolaires, elle reconnaîtra certains des troubles qui animaient son père. Dans le film, on voit d’ailleurs sa soeur affirmer qu’elle ne dort pas la nuit parce qu’elle est en contact avec des anges qui lui donnent une mission.
Lorsqu’il disait à ses disciples qu’il était la réincarnation de Jésus-Christ, George Patrick Dubie était-il en proie à un délire psychotique, ou était-il simplement manipulateur ? C’est l’une des questions qu’on se pose après avoir regardé Manic. En entrevue, Kalina Bertin reconnaît que son père était un malade doublé d’un escroc. « Il était les deux en même temps », dit-elle. Pour elle, ce film a joué le rôle d’une thérapie. « J’avais l’impression qu’en disant exactement ce qui est arrivé à mon père, cela m’empêcherait de devenir comme lui. »
Au cours de la recherche qui a mené à la production du documentaire, Kalina Bertin a découvert que son père avait eu au moins 15 enfants avec cinq femmes différentes. Elle sait qu’elle pourrait encore en apprendre plus sur George Patrick Dubie, qui a d’ailleurs vécu sous différentes identités.
Elle a par ailleurs interrogé plusieurs personnes qui l’ont connu, dont Margaret Crane, sa maîtresse de longue date, qui l’a finalement abattu d’un coup de feu. La fille de celle-ci, Angel, raconte aussi que ses parents l’ont convaincue de se raser la tête, puis de prétendre avoir la leucémie, avant de dire qu’elle s’était rétablie grâce à des produits naturels vendus par le couple. Dubie a d’ailleurs épousé la propriétaire d’Herbalife, Geri Cvitanovich.
Quotidien chaotique
Mais la véritable force de Manic est sans doute de nous montrer le quotidien de personnes en proie à des troubles bipolaires, ainsi que leur combat pour surmonter leur souffrance. « Avant de commencer mon tournage, j’avais averti ma famille que j’allais les filmer durant des épisodes sensibles », raconte Kalina. On peut voir par exemple comment son frère, en pleine psychose, lance des couteaux à travers une pièce en direction de la caméra. « À la dernière étape, je leur ai montré mon travail et je leur ai demandé s’ils voulaient retirer quelque chose. Finalement, ils n’ont rien retiré », raconte Kalina. Mieux, sa soeur, après avoir vu le film, a décidé de se prendre en main et, depuis, son état s’est stabilisé. Ce cinéma direct intime pourra sans doute aider à démystifier la maladie mentale et ses effets.
Kalina Bertin, quant à elle, semble avoir fait la paix avec la mémoire de son père. Elle travaille présentement à un projet de réalité virtuelle qui porte de nouveau sur la maladie bipolaire, avec des enregistrements laissés sur son répondeur par son frère et sa soeur.